Que se passe-t-il quand les yeux
ne voient plus, que le cœur ne souffre plus et que les mots se taisent ?
On avance dans le noir en silence et on se cogne la tête un peu partout. Il y a
des jours où j’aimerais me cogner ainsi la tête, parce que, quoi qu’il arrive,
la douleur prouverait qu'on est en vie. Je vous avoue que j’ignore pourquoi je
vous dis ça, ni où cela va me mener. L’idée est là, avancer sur une corde au
milieu du vide, juste pour le frisson de pouvoir tomber et, si jamais
j’arrivais de l’autre côté, trouver le disque que je poserai alors sur ma
platine. Or, à cet instant, pour être honnête, j’ignore encore quelle serait la
pochette que je choisirai. Et c’est le but, et ce serait aussi le vôtre que de
le trouver avant que ce billet ne se termine. J’écris cette chronique avec
vous, sur le fil du rasoir. Sans tricher. Quel disque me sortirait de tout
ça ? De cette envie de crier. Ou qui m’inspirait pour me battre
encore pour quelque chose qui en vaudrait la peine. Je n’ose me dire que
je suis certainement à mi-parcours. Pour tout vous dire, j’ignore encore si j’y
arriverai, même que c’est un peu bête d’avoir peur pour ça. Depuis quelques pas
déjà, la corde semble se détendre sous mon poids. Je tangue davantage, ça
bouge, mes jambes tremblent. Mes bras s’élèvent de part et d’autre pour lutter
contre la précarité de mon équilibre. Chaque pas que je fais devient plus
hésitant parce que je suis soudain infiniment vulnérable. J’aimerais me dire
que tout ça est ridicule, sauf que je ne peux plus reculer, car cela ne
servirait à rien maintenant. Je suis allée trop loin. D’ailleurs, vous pouvez sans
doute vous retourner vous aussi, et apercevoir, tout comme moi, que partout
autour de nous, il n’y a que le vide. Un vide effrayant parce qu’il est aussi en
chacun de nous. Mais, quelque part, un truc bizarre est en train de se passer,
des images, des sons, de sensations enfouies et oubliées de l’adolescence
commencent à émerger. Tout ça bizarrement intact. Des envies de se dire qu’on
est différent des autres, qu’un jour il y a eu une musique en nous qui nous a
défini à jamais. Et c’est bon signe : mon cœur bat plus fort. Et puis,
l’autre versant s’approche. Rester calme. Ne pas accélérer. Et surtout ne pas
tomber maintenant, ce serait trop bête. A nouveau, j’ai envie d’écouter de la
musique. Vous savez, de celle qui compte. Du style : « Croix de bois, crois de fer, j’irai en enfer ». Une musique forte. Trépidante et poignante. Je suis
en vie, et je n’ai plus envie de me cogner la tête, juste de poser mon pied sur
la terre ferme. Déjà ma main meure de parcourir le carton glacée et d’extraire
de la fente étroite la fragile et précieuse galette noire. Et vous aussi avez sans
doute la sensation entre vos doigts de cette pochette, peu importe ce qu’elle
est, et peu importe surtout le goût des autres, car ce qu’elle contient vous a
un jour façonné. C’est pour nous un refuge éternel qui se refuse de sombrer et
tout ça compte à cet instant plus que tout. Et comme moi, j’espère que votre pied
s’est à présent posé sur le sol et que, déjà, vous parviens à l’oreille les
premiers grésillements que produit alors la pointe du diamant. Et, pour tout
vous dire, moi, j’ai même triché : j’ai directement commencé par la face b…. Juste pour le plaisir qu’en moi la musique résonne plus fort. Alors voilà, aujourd’hui, ce
disque pour moi, ça a été celui-là. Et pour vous ?
Audrey SONGEVAL [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !]