La deuxième partie de ce florilège consacré aux amours coupables du jazz et de la chanson française commence en 1950 avec un musicien qui incarne encore aujourd’hui toute la joie et l’insouciance de la Libération. Accueilli comme un héros au festival de jazz de Paris de 1949, Sidney Bechet s’installe définitivement en France, s’y marie. Sa popularité va dépasser tout ce que la France avait connu dans le domaine du jazz avant lui. Il forme de nombreux jeunes musiciens qui sans lui n’auraient probablement jamais pensé à faire carrière dans la musique. À ma connaissance, il n’a jamais au cours de sa carrière française accompagné de chanteuse française (sauf au cinéma), mais lorsque le contexte s’y prêtait, il ne dédaignait pas pousser la chansonnette, chantant dans le créole de la Louisiane de son enfance. Dans le morceau qui ouvre ce florilège, il délègue ce rôle à ses musiciens. Au cours des années 60, le jazz devient une musique plus institutionnelle et perd le côté sulfureux qu’elle avait encore avant et pendant la guerre. L’audace et le scandale sont désormais à chercher du côté du rock'n'roll naissant. Malgré cela, certains chanteurs gravent quelques faces fortement agrémentées de jazz, c’est le cas, par exemple, de Serge Gainsbourg et de Marie Laforêt. Marie illustre d’ailleurs la pochette de cette compilation. Mais allez-vous deviner qui l’accompagne sur la photo ? Pour d’autres chanteurs, le jazz reste un habillage destiné à poser une ambiance, citons ici Enzo Enzo et Liane Foly, mais c’est également le cas de certains titre d’Alain Chamfort ou d’Etienne Daho. Plus près de nous, une mutation intéressante se fait jour. Alors que jusque là, c’étaient les chanteurs ou leurs producteurs qui convoquaient les musiciens de jazz à des séances de studio, le phénomène s’inverse. Ce seront désormais les jazzmen les plus en vue qui vont proposer des collaborations à des chanteurs. Christophe grave ainsi un morceau qui va changer sa vie avec le trompettiste Erik Truffaz. Ibrahim Maalouf, quant à lui, multiplie les collaborations avec chanteurs, rappeurs, avec Natacha Atlas et avec l’excellent groupe d‘electropop Madame Monsieur. Mais la grande vedette de ce florilège, c’est bien sûr l’immense Claude Nougaro. Toute sa vie, Claude va s’entourer des meilleurs jazzmen français, notamment Eddie Louiss et Maurice Vander. Et plus tard avec Didier Lockwood. Il multiplie les reprises des standards de Neal Hefti, Dave Brubeck, etc. et fait découvrir cette musique à une nouvelle génération de mélomanes trop jeunes pour avoir connu le jazz d’avant-guerre ou de la Libération. On entend Claude Nougaro deux fois dans cette compile. Sur Dansez sur moi, version française du standard de Neal Hefti popularisé par l’orchestre de Count Basie, puis dans Le K du Q repris par les fous furieux de NoJazz, avec la bénédiction du génial poète toulousain. C’est ensuite la canadienne anglophone Andrea Lindsey qui lui rend hommage sur Le Jazz et la java, une reprise de Dave Brubeck. Cet épisode de Jazz en France étant consacré à la rencontre du jazz et de la chanson française, les chansons sont en français. J’ai toutefois fait deux exceptions. Une pour Jane Birkin, dont personne ne contestera le statut de Grande Dame de la chanson française, qui retrouve ici sa langue maternelle. L’autre provient de l’Opéra jazz du trompettiste Eric Le Lann chanté en breton, cette langue étant bien sûr un élément fondamental de la richesse culturelle française.
ZOCALO [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire!]