ARCHIVES

jeudi 27 juin 2019

MODEST MUSSORGSKY [Gustavo Dudamel & WPO] ~ Pictures At An Exhibition [2016]



Le Venezuela d'Hugo Chávez avait tout pour réussir. Des revenus assurés par les réserves pétrolières parmi les plus importantes au monde et une des politiques sociales les plus avancées du continent sud-américain. Au sein de celle-ci, "El Sistema". Initiée en 1975 par  José Antonio Abreu, cette politique consiste à offrir à chaque jeune vénézuélien un instrument de musique et une éducation musicale de haut niveau dans l'un des 55 orchestres de jeunes répartis dans tout le pays. Le gouvernement y voit également (et essentiellement) une façon de lutter contre la drogue et la délinquance, endémiques sur le continent. Il est d'ailleurs frappant de noter que le ministère en charge du "Sistema" n'est pas celui de la culture, mais celui de l'action sociale.

Parmi les millions de jeunes formés par "El Sistema", le plus célèbre est sans nul doute le charismatique chef d'orchestre Gustavo Dudamel. Son talent et sa fougue vont éclater aux yeux du public européen au cours de la tournée qu'il entreprend avec l'Orchestre Simón Bolívar en 2007. A la fin de chaque concert, tous les musiciens revêtaient un gilet aux couleurs du Venezuela avant d'interpréter une grande œuvre du répertoire classique latino-américain.

Mais si vous suivez l'actualité internationale, vous savez que l'état de grâce vénézuélien n'a pas survécu à la mort d'Hugo Chávez. Son successeur désigné, Nicolás Maduro, après des élections remportées sur le fil du rasoir, a plongé le pays dans la plus grande crise économique de l'histoire du pays. Les manifestations quotidiennes sont réprimées par l'armée ou les milices pro-gouvernementales qui tirent à balles réelles dans la foule, faisant des dizaines de morts.

Le 3 mai 2017, Armando Cañizales Carrillo, un altiste du "Sistema" est abattu par balle lors d'une manifestation. Gustavo Dudamel ne peut plus se taire. Il prend publiquement position contre la politique de Nicolás Maduro. Mais revenons à la musique. Le 1er janvier de cette même année, il avait été à 35 ans le plus jeune chef d'orchestre jamais invité à diriger l'Orchestre Philharmonique de Vienne pour le concert du nouvel an. C'est avec ce même orchestre, augmenté de quelques jeunes musiciens de l'association viennoise "Superar", qu'il grave les Tableaux d'une Exposition de Modest Mussorgski, dans l'orchestration de Maurice Ravel.
ZOCALO [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !] 


01 - Promenade I
02 - Gnomus
03 - Promenade II
04 - The Old Castle
05 - Promenade III
06 - Tuileries Gardens
07 - Bydlo
08 - Promenade IV
09 - Ballet Of The Unhatched Chicks
10 - Samuel Goldenberg Und Schmuÿle
11 - The Market At Limoges
12 - Catacombae (Sepulchrum Romanum)
13 - Cum Mortuis In Lingua Mortua
14 - The Hut On Chicken's Legs
15 - The Great Gate Of Kiev
MP3 (320 kbps) + front cover 

 

mercredi 19 juin 2019

Mot à mot sur la bouche [Feuilleton par Jimmy Jimi] # 6



  
   Jérémy et Madeleine quittent le bâtiment, si extraordinaire en son sous-sol mais tellement anodin vu de l’extérieur qu’il se refuse à la description, comme si on avait voulu dissimuler son étrange contenu sous plusieurs couches de béton et de banalité…
   Les champignons seront-ils hallucinogènes ?! En tous cas, le bistroquet tangue déjà sous les effluves d’un jazz relevé à la sauce mexicaine !  
   « Ça serait possible de calmer le bastringue ? vocifère un grincheux malpoli.
   – Auriez-vous l’amabilité de diminuer légèrement le volume, s’il vous plait, monsieur ? corrige le maître des lieux.
   – Pourriez-vous avoir l’extrême obligeance de baisser un peu le son, s’il vous plait, patron ? rectifie le client.
   – Non ! Je crains que ce soit tout à fait impossible, parce que pour réussir une omelette fameuse, il ne suffit pas d’utiliser de bons produits frais ni d’user d’un savoir-faire familial transmis de génération en génération : il faut que ça swingue ! Evidemment, vous ignorez tout du sens sacré de ce mot, sinon vous ne vous seriez jamais permis de m’apostropher de cette voix geignarde, pendant que Charles Mingus et ses amis distillaient des merveilles, ni de porter ce vilain costume en tergal ou cette méchante cravate en fibre de coco ! Ayez la gentillesse, je vous prie, de lever votre tagada de ma jolie chaise et de gagner la sortie de votre pas le moins disgracieux, l’apéritif est offert par la maison ! »
   Les habitués applaudissent en rythme !
   « Il en faut au moins un par mois : cette fois, c’était lui ! Comment s’appelle ma taverne ? Eggs, Mushrooms & Swing ! Je crois que ça ne ment pas trop sur la marchandise ! Monte donc encore un peu le son, mon bijou, je veux que Los Mariachis fasse chavirer les assiettes ! Alors, pour toi et ton amie, Jérémy, qu’est-ce que ce sera, deux omelettes aux champignons ? Ça tombe impeccable, car on ne sert rien de meilleur, ici ! Une mixte ou mademoiselle à une préférence particulière ? Et on accompagne ces splendeurs avec un Saint Amour, ça roule ?! »
   Tous mes sens sont en éveil et je ne suis pas le seul. Je me régale en observant les oreilles de Madeleine qui se dressent comme celles d’un animal enamouré ! Ses charmantes babines se pourlèchent aussi au milieu des sourires !
   « Voici les assortiments de poivres et de moutardes fraîches, n’hésitez pas à jouer avec les saveurs, sans être trop excessive : les œufs encaissent plutôt bien, mais les champignons sont plus fragiles, surtout les craterellus cornucopioides, mieux connus sous le nom de trompettes de la mort. Et à propos de trompettes, que pensez-vous de celles qui font fumer les enceintes ?! »
   Sans attendre la réponse, il retourne en cuisine en dansant comiquement entre les tables…
   Dans cet antre exotique, toutes les phrases doivent être répétées au moins trois fois avant d’avoir une chance de parvenir à leur destinataire, mais Madeleine s’en amuse. Entre deux délicieuses bouchées, elle dit qu’elle se refuse à mettre des étiquettes sur telle ou telle musique et que tous les genres peuvent lui plaire dès qu’elle y perçoit un souffle d’émotion.
   « L’émotion, répond Jérémy, c’est le maître mot… Dans un entretien demeuré célèbre, Louis-Ferdinand Céline a déclaré : « On dit : « au commencement était le verbe », non : au commencement était l’émotion. » C’est l’une de mes phrases préférées, je lui fais prendre l’air dès que j’en ai l’occasion ! Ô, à propos d’émotion, nous plongeons dans un tout autre vertige. Cette trompette-là est également mortelle, mais elle est plus insidieuse ! Quel doux venin ! Et cette voix de velours aux muqueuses sensuelles ! On aimerait se noyer tout doucement dans les eaux parfumées de cette si douce romance !
   – On dirait que sa voix traduit ce que sa trompette vient de raconter ! 
   – Il y a une poétesse qui sommeille en vous !
   – Je vous retourne le compliment… A moins que nous soyons intoxiqués par un malin champignon ou un tout petit peu pompettes (mot qui, comme de bien entendu, rime avec trompette) ! »
   Jérémy se lève en chancelant légèrement. Je serais bien resté à table pour tenir compagnie à Madeleine, mais nous ne sommes pas tous maîtres de notre destinée, et je suis obligé de suivre mon homme qui titube jusqu’au cabinet de toilette !
   Il se lave les mains longuement avant de s’asperger le visage. Il scrute son image dans la glace et semble s’étonner du reflet qu’elle lui offre. « Dommage que je sois si vieux, elle est tellement mignonne, cette petite ! Non, ça n’aurait pas été possible, elle n’a pas lu plus de trois livres. Eh bien, justement, j’aurais pu tout lui apprendre. J’aurais été son professeur et elle ma muse… » Les pensées suivantes fusent trop vite, je ne parviens pas à suivre. Je m’accroche à tout ce que je peux pour ne pas me faire éjecter par une oreille ou une narine ! Soudain, il se met à pleurer, et si abondamment qu’il en fait fondre le miroir. Un autre monde s’ouvre, il est peuplé de dix mille clones de la fille aperçue sur la photographie, dans la chambre de Jérémy. Elle est tellement belle que c’en est presque douloureux. On aurait envie de se brûler les doigts en caressant sa longue chevelure de jais, de jouer des heures avec les boucles créoles qui pendent à ses ravissantes oreilles, de perdre la vue en admirant ses yeux d’azur, de fouiller à tâtons ce décolleté qui laisse entrevoir une peau d’un rare velouté… Cette fille est d’une beauté à rendre fou et je comprends tout juste que c’est ce qui est arrivé à mon pauvre Jérémy : la bougresse l’a rendu totalement brindezingue ! Je crois que pour une âme particulièrement sensible, une beauté moins tapageuse est préférable, une gentille et douce amie comme Madeleine, par exemple, même si elle est un peu jeune… Sauf que Madeleine n’existe pas, qu’elle n’a jamais existé ailleurs que dans le ciboulot dérangé où j’ai trouvé refuge. L’illusion était drôlement bien imitée et je me suis fait joliment berner. Madeleine, c’était une invention pour se désennuyer ; c’était un songe extirpé de son lit ; c’était un personnage de roman sans roman ; c’était une jeunette en peau de lune pour tenter d’oublier l’autre, la si belle, la salope qui ne veut même pas me dire son nom ! Si je pouvais, moi aussi je me laisserais aller à chialer dans les plis d’un miroir liquéfié. Je ne suis là que depuis quelques heures, je ne sais donc pas depuis combien de jours, de semaines, de mois, d’années, de siècles cette fâcheuse comédie peut bien se jouer. J’ignore la somme de Madeleine, de Sandra, de Clothilde ou d’Elisabeth, le malheureux Jérémy a bien pu inventer pour essayer de fuir cette voluptueuse goule qui lui aspire le sang et lui grignote sadiquement le cœur.
   Jérémy retourne dans la salle. Une seule assiette est posée sur la table. La chaise d’en face est vide comme elle l’a toujours été. La musique est devenue sourde. Dans un dernier sursaut de rêverie, il se demande ce que Madeleine aurait pensé du chapitre intitulé : Smith Smith contre les ombres-robots dans Un Privé à Babylone… Un café pas de dessert et il faut retrouver les rues grises avec la pluie qui s’est remise à dégringoler comme si elle voulait noyer tous les poissons…
   Désormais, il faudra que je me méfie davantage, que j’apprenne à déceler les personnes réelles au milieu des entourloupes.
   Jérémy est pâle comme un linge qui n’aurait pas vu une scène d’amour depuis une vilaine décennie. Devant cette mine défaite, la responsable lui propose de l’aider dans ses tâches administratives, mais il repousse l’invitation, préférant retrouver ses chers livres : ils ont encore des histoires d’abandons à se raconter.