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mercredi 29 mai 2019

MAVIS STAPLES ~ We Get By [2019]


Combien reste-t-il de magiciens capables de construire des cathédrales en velours et des rosaces en dentelle avec toute l'élégance requise ? La soul, je le crains, et encore plus en danger que le rock ; il convient donc de goûter chaque bon nouveau disque à sa juste et rare valeur. Après Prince, Ry Cooder, Jeff Tweedy et M Ward, c'est Ben Harper qui se charge de dessiner le canevas. Point de fioritures ni davantage de cuivres, de cordes ou d'orgue, seulement quelques chœurs discrets et l'irremplaçable trio guitare / basse / batterie pour accompagner la Grande Dame. Cet album vous accroche le cœur dès les premières mesures et il devient vite évident qu'il ne le lâchera plus jusqu'à la dernière note - et bien au-delà, en vérité, car l'écouter en boucle me semble la solution la plus sensée.
Jimmy JIMI [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !]    


01 - Change
02 - Anytime
03 - We Get By [Feat. Ben Harper]
04 - Brothers And Sisters
05 - Heavy On My Mind
06 - Sometime
07 - Never Needed Anyone
08 - Stronger
09 - Chance On Me
10 - Hard To Leave
11 - One More Change
MP3 (320 kbps) + artwork 

 

lundi 27 mai 2019

STRAY CATS ~ 40 [2019]

Avec celui-ci, nous avons le droit à la double dose : de la nostalgie sur de la nostalgie... Pour le quarantième anniversaire de leur formation, nos trois matous se sont sentis obligés de remettre le couvert. D'accord, les gars ont pris un peu de brioche et les bananes sont un tantinet de traviole, mais s'il n'apporte rien à la légende, ce nouvel album ne la dénature pas non plus - et tout le monde n'a pas toujours pu en dire autant. La voix est plus rocailleuse que naguère et la rythmique est forcément moins virevoltante qu'à la grande époque, mais nous n'avons plus vingt ans, nous non plus ! Je ne voudrais pas que vous pensiez que ce disque a besoin de se trouver des excuses, car la guitare de Brian Setzer (maître de l’œillade appuyée et de tant d'autres délices) fera toujours la différence. En cette époque où ce qu'il reste du rock est souvent tellement plombé, cela fait un bien fou d'entendre six cordes qui carillonnent en n'oubliant jamais de roller. Vous ne l'écouterez certainement pas en boucle, pendant des mois, comme ce fut le cas avec leur chef-d’œuvre inaugural, mais vous passerez un excellent moment en sa compagnie. Let's go with the devil train !
Jimmy JIMI [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !]      


01 - Cat Fight (Over A Dog Like Me)
02 - Rock It Off
03 - I've Got Love If You Want It
04 - Cry Danger
05 - I Attract Trouble
06 - Three Time's A Charm
07 - That's Messed Up
08 - When Nothing's Going Right
09 - Desperado
10 - Mean Pickin' Mama
11 - I'll Be Looking Out For You
12 - Devil Train
MP3 (320 kbps) + artwork 

lundi 13 mai 2019

ANGELIQUE KIDJO VS CELIA CRUZ



On connaissait Angélique Kidjo pour son insatiable curiosité et ses multiples collaborations. On la connaissait également pour son engagement en faveur du développement du continent africain et des droits des femmes ou pour son implication dans l’éducation des jeunes béninoises. Mais son admiration pour Celia Cruz, la Grande Dame de la salsa cubaine m’était inconnue. Cependant, à y bien réfléchir, elle est assez logique. Comme Angélique, Celia a eu à se battre pour se faire une place dans un monde de mecs. Comme Angélique, elle a quitté son pays pour des raisons politiques. Úrsula Hilaria Celia de la Caridad De La Santísima Trinidad Cruz Alfonso (j’adore ces patronymes hispano-américains !) a fui le régime castriste dès les premiers mois de la Révolution cubaine, en 1960. Comme Angélique, elle est devenue une icône de la musique de son pays qu’elle a contribué à faire connaître dans le monde entier.

A l’occasion de la sortie de Celia, l’album-hommage d’Angélique Kidjo à Celia Cruz, j’ai eu envie de rapprocher les interprétations d’Angélique et les versions originales de Celia Cruz. En faisant des recherches pour présenter cet hommage, je suis tombé sur un article des Échos qui affirme : "[Angélique Kidjo] a, sans surprise, ajouté une pâte afro aux chansons de Celia Cruz". J’en suis tombé de mon tabouret. Comment peut-on "ajouter une pâte afro" à une musique qui vient d’Afrique ? Qui peut encore ignorer que les bases de la salsa proviennent en droite ligne des rythmes africains, au même titre que la cumbia, la rumba, le bolero, le son, le candombe, la tumba francesa et la quasi-totalité des rythmes latino-américains ? Autant affirmer que Miles Davis a apporté "une pâte de jazz" à la musique de Louis Armstrong, ou que Sergiu Celibidache a apporté "une pâte de classique" à la musique de Mahler !

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la musique de Celia Bruz, qui ne se résume pas à la seule salsa. Des morceaux comme Yemaya, Sahara, Elgua quiere Tambo ou Oya, Diosa y fe trahissent des influences plus complexes, et ce n’est pas un hasard si Angélique Kidjo y a trouvé un écho puissant à son propre style. Mais il est temps de vous laisser savourer ces interprétations sans trop les intellectualiser. C’est vraiment moi qui dit ça ?!
ZOCALO [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !]















01 - Angélique Kidjo - Cúcala
02 - Celia Cruz - Cúcala
03 - Angélique Kidjo - La Vida Es Un Carnaval
04 - Celia Cruz - La Vida Es Un Carnaval
05 - Angélique Kidjo - Sahara
06 - Celia Cruz & Sonora Matancera - Sahara
07 - Angélique Kidjo - Baila Yemaya
08 - Celia Cruz & Sonora Matancera - Baila Yemaya
09 - Angélique Kidjo - Toro Mata
10 - Celia Cruz & Johnny Pacheco - Toro Mata
11 - Angélique Kidjo - Elegua
12 - Celia Cruz - Elegua Quiere Tambo
13 - Angélique Kidjo - Quimbara
14 - Celia Cruz - Quimbara
15 - Angélique Kidjo - Bemba Colorá
16 - Celia Cruz - Bemba Colorá
17 - Angélique Kidjo - Oya Diosa
18 - Celia Cruz & Sonora Matancera - Oya, Diosa y Fe
19 - Angélique Kidjo - Yemaya
20 - Celia Cruz - Yemaya
MP3 (320 kbps) + front cover

 

vendredi 3 mai 2019

Mot à mot sur la bouche [Feuilleton par Jimmy Jimi] # 5



  
   Le temps s’écoule étrangement et l’atmosphère est très particulière dans un sous-sol, on en oublierait presque qu’il existe un autre univers – avec des librairies, tiens, qu’est-ce que j’ai hâte, tout à coup, de pénétrer dans l’antre mystérieux d’un libraire pour y découvrir de nouveaux cousins, tout beaux, tout neufs et tout remplis d’un magnifique espoir !
   « J’ai rougi, tout à l’heure, j’ignore si vous l’avez remarqué, quand vous m’avez demandé si j’aimais les livres. Je crains que ce soit un peu stupide ce que je vais vous avouer : j’aimerais aimer lire ! Je sais que c’est idiot, parce que, généralement, quand on aimerait faire quelque chose que l’on peut faire, on le fait, et puis c’est tout ! Mais, là, ce n’est pas si simple, et je ne peux même pas vraiment expliquer le pourquoi du comment. Je m’en fais un tel monde… Je tourne autour sans m’autoriser à pousser la première porte. J’ai l’impression que je ne vais pas être à la hauteur et que l’auteur (hasard de la langue) ou même les personnages vont se moquer de moi ! Bien sûr, j’ai déjà lu des livres au collège et au lycée, mais pas tant que ça, j’ai fait un bac techno (ennuyeux au possible, d’ailleurs), et c’était toujours des lectures obligées, que je me forçais à avaler telle une purge. J’aimerais tant savoir choisir un livre comme je sais reconnaître un disque et m’offrir le même plaisir. »
   C’est une bien jolie confidence et j’en suis tout ému ! S’ils le pouvaient, les livres se jetteraient du haut de leur étagère pour s’offrir en lecture ! J’en entends frissonner des couvertures qui ne demanderaient pas mieux que d’être caressé par les jeunes doigts longilignes de notre Madeleine. J’en devine, aussi, des phrases qui se remaquillent à la hâte, juste pour le cas où. « Est-ce que mes caractères sont dessinés dans une police suffisamment élégante ? Ma ponctuation est-elle bien en place ? Mon narrateur ne devrait-il pas se montrer plus facétieux ? Mes dialogues sont-ils crédibles ? » C’est une pluie de questions qui s’abat sur ce mouroir improbable, le déluge n’est pas loin. Moi aussi, j’ose l’avouer, j’aimerais devenir le premier livre aimé par cette nature si touchante, mais je pèse moins que rien avec ma poignée de signes illisibles !
   « Je peux rapidement vous exposer ma petite méthode, si vous le voulez, elle a bien fait ses preuves... D’abord, je pense qu’il vaut mieux débuter par un ouvrage qui ne soit pas trop volumineux [A ces mots, les pavés (pour des raisons évidentes, ce sont toujours les plus touchés) retournent à leur désespérance.] et d’une lecture plutôt facile [Adieu essais philosophiques de l’embrouillamini !]. Je vous rassure tout de suite, les chefs-d’œuvre ne sont pas toujours des livres épais et compliqués. En début de matinée, je ne sais pas si vous vous en souvenez, j’ai évoqué Richard Brautigan [Le gars a toujours une grosse côte !], je vous conseillerais bien Un Privé à Babylone ; c’est un faux polar (pour faire vite), à la fois irrésistiblement drôle et superbement poétique, qui se lit tout seul. [Un murmure gigantesque circule aussitôt dans les travées, on s’interroge d’étagère en étagère, mais pas le moindre détective Babylonien sur nul horizon… Je n’ose y croire : 75 000 malheureux bouquins patientent dans cette antichambre sordide et un Jérémy sans foi ni cœur aurait choisi un étranger ! Après le déluge, c’est un tsunami qui menace. Sans que l’on sache comment, un recueil de nouvelles réussi à fausser compagnie à ses congénères pour sauter dans le vide ; quand on le ramasse, ses pages sont devenues toutes blanches…] Ensuite, il s’agit de suivre scrupuleusement le programme à la lettre : lire dix pages (ou même seulement cinq pour démarrer) dans le même lieu et à la même heure afin que l’esprit et le corps s’habituent plus aisément ; je privilégierais plutôt le soir, juste avant le coucher, pour que la nuit vous aide à digérer. C’est un procédé tout simple, mais il faut faire l’effort de s’y tenir. Après, le calcul est rapide, il vous faudra seulement entre vingt et quarante jours pour lire un livre de deux-cent pages. Vous vous rendez un petit peu compte, chère Madeleine, si tout se passe comme prévu, et je n’en doute pas un instant, nous nous retrouverons, ici même, dans une vingtaine de jours, et vous aurez lu un chef-d’œuvre – c’est inouï, n’est-ce pas ?!  En vérité, je vous l’annonce, poussés par la magie des mots, la plupart des candidats franchissent la ligne d’arrivée beaucoup plus tôt. Mais il ne sert à rien de trop se précipiter, j’ai connu, hélas, des empressés qui avalaient des cinquante pages le premier jour pour manquer leur rendez-vous dès le lendemain. L’important, c’est de prendre la bonne habitude et de conserver le rythme. Vous m’avez confessé que vous vous en faisiez tout un monde et vous avez mille fois raison, c’est un univers extraordinaire, mais il n’y a pas la moindre porte à pousser, la grande maison littéraire est ouverte à tous les vents ! Il suffit de s’assoir et de laisser ses yeux s’émerveiller ! Pour vous qui aimez la musique, c’est comme le classique ou le jazz, certaines personnes s’imaginent qu’il est nécessaire de posséder un quotient intellectuel hors du commun et une culture plus grosse que ça pour pouvoir apprécier un concerto de ce cher vieux Johann Sebastian Bach ou les entrelacs cubistes d’un Thelonious Monk, alors qu’il s’agit simplement de rendre son cœur pur ! » 
   J’essaye de rendre compte, mais mes pensées s’éparpillent. Je ne peux cesser de songer à ce triste livre qui a plongé dans l’air vicié avant de s’écraser au sol où il s’est vidé de tous ses mots. Cela ne risque guère d’empêcher le monde de tournicoter ; c’est vrai, qu’ici-bas, des malotrus n’hésitent pas à nous traiter d’objet voire carrément de chose (comme le mot est vulgaire et dégradant !) considérant, sans doute, que nous ne valons pas beaucoup mieux qu’une machine à coudre ou un parapluie (ceci – il va sans dire, mais c’est toujours mieux en le disant – énoncé sans aucune forme de snobisme !). Jérémy parvient tout de même à m’amuser par son incroyable vitalité et son enthousiasme débordant. A l’écouter, tout paraît si évident : « […] alors qu’il s’agit simplement de rendre son cœur pur ! » Il faudra qu’il pense à me la tatouer sur l’épaule, celle-là, elle me plaît énormément !
   L’heure du déjeuner approche, je perçois quelques gargouillis qui montent de l’estomac pour grimper, tout là-haut, jusqu’au cerveau. Mais un bruit plus puissant se laisse également entendre. On dirait un roulement à bille tournant à pleine vitesse : c’est le leitmotiv de la matinée qui se manifeste de nouveau : Jérémy va-t-il enfin pouvoir profiter de cette nouvelle pause pour terminer de lire les aventures de nos délicieuses demoiselles de Kyôto ?
   « J’aimerais vous inviter à déjeuner pour vous remercier de votre accueil chaleureux et de vos bons conseils, propose généreusement Madeleine.
   – C’est toujours si charmant une demoiselle qui souhaite inviter un vieux monsieur !
   – Vous ne ressemblez pas exactement à un vieillard !
   – Je ne sais pas ce qu’il vous faut, j’ai plus d’un demi-siècle ! Vous auriez peut-être préféré que je vous serve le baragouin d’usage : « j’ai bientôt 55 ans, mais je me sens encore jeune dans ma tête ! » Quelle horreur et quelle sottise ! C’est le signe évident d’une décrépitude déjà bien entamée ! Quand j’avais votre âge, il n’y avait ni Internet ni téléphone portable… et les tyrannosaures et autres charmants diplodocus batifolaient encore gaiement dans la prairie ! Est-ce que vous aimez les omelettes, je connais une chouette popotte où le patron est le roi de l’omelette aux champignons, laquelle est toujours accompagnée des plus merveilleux disques de jazz ?