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lundi 30 novembre 2020

SIBYLLE BAIER ~ Colour Green [1970-1973 / 2007]

 

Combien de trésors sommeillent-ils encore dans les tiroirs secrets ? Au début des années soixante-dix, Sibylle Baier enregistra une belle poignée de chansons qu'elle oublia bientôt pour s'occuper de ses enfants... Trente longues années plus tard, son fils retrouva les bandes et en fit un CD qu'il offrit à sa mère. L'affaire pourrait s'arrêter là, mais ce serait bien triste. On ne sait trop comment, mais ledit CD se mit à circuler jusqu'à atterrir sur le bureau d'un petit label. L'album finira par paraître en 2007 et ce n'est rien d'écrire que ce fut une divine révélation. La douce Américaine (d'origine allemande) est une enchanteresse. Colour Green ne connait pas de temps faibles, juste des moments d'une incroyable tendresse et d'une infinie profondeur. Il vous plonge dans cet extraordinaire état de grâce ou tout semble si beau et si pur que la vie en paraît presque simple ! Une guitare en bois, une voix, des mots : des disques tout nus, j'en ai beaucoup écouté et, pourtant, je ne sais de quels chef-d’œuvres rapprocher ce miracle d'émotion. S'il vous plait, prenez un petit instant pour l'écouter !   
Jimmy JIMI [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !] 


01 - Tonight
02 - I Lost Something In The Hills
03 - The End
04 - Softly
05 - Remember The Day
06 - Forget About
07 - William
08 - Says Elliott
09 - Colour Green
10 - Driving
11 - Girl
12 - Wim
13 - Forgett
14 - Give Me A Smile
MP3 (320 kbps) + artwork
 

jeudi 12 novembre 2020

Mot à mot sur la bouche [Feuilleton par Jimmy Jimi] # 10


   J’ignore si vous connaissez l’étendue du pouvoir des songes sur un cerveau cruellement rongé par la plus douloureuse et sordide des maladies. Le sofa tangue tel un frêle esquif sur les lames affutées d’un océan en furie. D’abord, toute la journée que je viens de vous conter se rejoue en vitesse accélérée ; ensuite, j’observe mon pauvre Jérémy qui se promène dans différentes dunes du passé avec toujours cette diablesse de Natacha pendue à son cou. A force de gesticuler ainsi, il va bien finir par tomber de sa couche. Qu’est-ce que je disais, pas plus tard que tout de suite ?! Le voilà désormais affalé comme un pantin désarticulé sur le tapis persan. Il s’est fait une entaille de belle taille à l’arcade sourcilière en heurtant la table basse, mais ça ne l’a pas réveillé pour autant ; ses rêves sont trop profonds, il ne parvient plus à remonter à la surface… A force de courage et d’abnégation, il réussit tout de même à s’extraire de ses souvenirs, mais c’est pour mieux se laisser absorber par une vision totalement déjantée de l’avenir. Je le vois mieux que je ne vous devine et il s’admire dans son costume de marié (un ensemble somptueux avec queue de pie des plus chics), mais les gouttes de sang de son arcade meurtrie complique de rouge l’œillet blanc qu’il porte à la boutonnière. « Non, n’insiste pas, mon chéri, tu ne peux pas voir ma robe, ça porte malheur [Parlons-en de celui-là…] » « Tu ne vas quand même pas épouser cette saleté de morue, elle ne fera que ton malheur [Non, mais quand je disais : « parlons-en », c’était une façon de s’exprimer, chère Madame Mamounette ! »] Les dialogues s’enfilent comme des perles noires, pendant que je délire entre les crochets !
    La nuit hurle jusqu’à extinction de voix. Moi-même, je ne sais ce qui me retient de mordre dans la lune ! Le salon empeste le lycanthrope ! Et puis nos jolis oisillons de l’aurore reviennent pousser la chansonnette de branche en branche, joyeux, imperturbables malgré la tragédie. L’homme (en tous cas celui qui nous intéresse) peut souffrir mille maux pendant la nuit et grimacer devant une boule de coton imbibé d’alcool. J’ai l’impression qu’il ne se souvient plus de grand-chose. Il s’applique à effacer les traces de sang. Son crâne pèse plus lourd qu'un boulet de canon.
    Jérémy s’assoit sur le bord de baignoire. Il demeure un long moment sans bouger, la tête entre les mains. On dirait une statue sculptée dans le chagrin. Avant de recevoir cette maudite invitation, il ne devait guère lui rester qu’une chance sur dix millions pour que Natacha ne lui revienne un jour. L’espoir était fort mince, mais c’est à cette poussière d’étoile qu’il s’abreuvait pour trouver l’énergie qui l’aidait à se lever chaque matin. Au lendemain de l’apocalypse où va-t-il pouvoir trouver les ressources ne serait-ce que pour effectuer le moindre geste du quotidien ? Se raser, se laver, se parfumer, s’habiller, poser un disque sur la platine, préparer son petit-déjeuner, manger, vapoter et même choisir un nouveau roman : comme tout cela lui semble vain, stupide, ridicule, à crever de rire ou à crever tout court…
    Le chat fait son apparition dans la salle d’eau. Cela semble lui coûter, mais il vient tout de même se frotter gentiment contre les jambes de Jérémy.
    « Toi aussi, elle t’a abandonné, mon pauvre gros matou, et elle te manque ; c’est pour ça que tu disparais pendant des jours et des semaines entiers, tu cherches encore sa trace, mais, va, elle a bien su mettre la distance nécessaire entre nous pour qu’on ne vienne pas la déranger dans sa formidable nouvelle vie. Tu savais qu’elle avait des envies de mariage, toi ? Elle ne m’en a jamais parlé. C’est l’autre, là, le gars Lahuri, qui l’a piégée avec des fantasmes de petites filles : le genou à terre, la bague en diamant, la robe blanche avec traine d’un kilomètre, la valse à mille temps, toutes ces cochonneries pour princesses de peccadilles ! Il avait trop peur qu’on la récupère, alors il a décidé de l’enfermer à triple tour dans une cage dorée. Chante, mon joli rossignol, je t’offrirai davantage de graines ; déploie ton charmant plumage, bel oiseau de paradis, je glisserai des pétales de roses entre les grilles de ta prison ! Le mariage, mon voyou, c’est la facile solution pour les cœurs riquiquis qui craignent de ne pas s’aimer suffisamment ; il leur faut toute une bimbeloterie de colliers, de chaînes, de laisses et des menottes pour être tout à fait certains qu’ils sont bien attachés l’un à l’autre. Fariboles que je t’en fous ! Mais, moi-même, ai-je bien reluqué ma sale et méchante trogne dans l’eau glauque du miroir ? Si je l’aimais assez, je serais déjà clamsé depuis lurette, noyé dans de vraies larmes, pas crocodiles du tout ; je n’aurais plus qu’à me foutre de ce bazar abject, touillant ma vieille gamelle d’éternité dans la cuisine des enfers ! Et si je l’avais adorée comme elle le mérite, elle n’aurait pas fui pour Vauvert ! Le mariage, je te demande, mon grappin, à son âge (même si elle est plus jeune que moi et plus belle qu’à vingt ans), est-ce que ça ne cache pas quelque chose ? Mais quoi ? Je n’en sais rien, moi, fichtrement. Et si j’en avais la moindre idée, ça ne changerait absolument que dalle, bernique ! Je vais y aller à la chouette cérémonie, élégant au possible, gentleman dandy, impassible bien planqué dans ma souffrance, avec même le petit sourire tout gai de rigueur. Et puis, tu sais quoi, mon petit grippeminaud ? Je ne vais pas tarder à te le dire, patience et suspens ! Pan ! Pan ! En plein cœur. En plein dans son petit cœur espiègle, juste avant le fameux « oui ». Après, moi, pareil, bang ! dans le palpitant, pas de jaloux ! Chouette, très chouette, la cérémonie, sensas ! Comme ça, on pourra peut-être s’aimer une toute dernière fois au milieu du cosmos ! »
    Le chat n’en croit pas sa berlue ! Autant de jérémiades et de divagations, ça vous brûlerait l’oreille la plus compréhensive ! Il quitte la salle de bain en catimini, la queue basse, dans un miaulement sourd. Jérémy ne s’en émeut pas davantage et ajoute encore quelques couplets pas piqués des vers ni des hannetons à sa lugubre chanson. Enfin, à bout de charabias, il quitte précipitamment le cabinet de toilette, pique un sprint dans le couloir et rejoint sa chambre pour se planter devant le portrait de la traitresse. Il lui hurle son amour et l’injurie dans la même phrase. La belle semble le narguer. Il pleure, geint, se lamente, lance de nouvelles incantations. On dirait qu’il attend qu’elle s’échappe de son cadre. Il répète son prénom encore et encore et toujours, lui murmure des mots doux entrecoupés des plus viles insultes. Ça y est, sa patience a dépassé tous les combles : il décroche le cadre du mur d’un geste violent, explose le verre d’un coup de poing rageur avant de déchirer la photographie en un million de confettis.


lundi 26 octobre 2020

THE PRETTY THINGS ~ Bare As Bone, Bright As Blood [2020]


Ainsi la magnifique histoire des Pretty Things s’achève ici (heureusement, il nous reste les disques pour nous rejouer l'aventure à l'envi). Étant encore en layette au moment où le groupe se formait, il m'aura fallu un certain David Bowie (deux reprises des "Pretties" sur son Pin Ups) pour m'intéresser au groupe... Des lustres et quelques chefs-d’œuvre plus tard, la pochette de ce Bar as bone, bright as blood est ornée d'un canapé vide. Le 15 mai 2020, Phil May, chanteur de l'orchestre magique, est décédé suite à un stupide et tragique accident de vélo. La vie est parfois très conne, je ne vous le fais pas dire. C'est d'autant plus cruel que ce nouvel album, entièrement acoustique, est stupéfiant de sincérité et de beauté. Ce n'est rien d'écrire qu'on a déjà entendu les diaboliques douze vieilles mesures carillonner joliment, mais rarement avec ce supplément d'âme, si souvent réclamé et, hélas, si souvent absent (en tous cas depuis un bail). Ces chansons vous attrapent au cœur dès l'ouverture pour ne plus vous lâcher jusqu'à l'accord final. Ce disque est merveilleux, ce disque est bouleversant, il vous faut l'écouter en boucle!

Jimmy JIMI [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire!]


01 - Can't Be Satisfied

02 - Come Into My Kitchen

03 - Ain't No Grave

04 - Faultline

05 - Redemption Day

06 - The Devil Had A Hold Of Me

07 - Bright As Blood

08 - Love In Vain

09 - Black Girl

10 - To Build A Wall

11 - Another World

12 - I'm Ready 

MP3 (320 kbps) + front cover

COOL 200   

 


 

lundi 5 octobre 2020

TAMI NEILSON ~ Chickaboom [2020]

 

La délicieuse pochette de ce Chicka boom! le bien nommé peut éventuellement être trompeuse. N'allez point vous fourvoyer : il ne s'agit pas de la réédition de l'unique et très rare album de la cousine germaine de Wanda Jackson, pas plus que des démos de la voisine de palier de Brenda Lee, mais du septième et tout nouvel album de Tamara Neilson, plantureuse chanteuse Canadienne vivant en Nouvelle-Zélande. En ce qui concerne le style, tout est inscrit sous le titre : "The hot rockin' lady of country, rockabilly & soul". Ne serait-ce pas ce que l'on désigne désormais sous la très originale appellation : americana ? Cela se pourrait bien. Autant vous le dire tout de suite : tout est très chouette sur ce disque : la voix ultra expressive de l'ogresse Tami (quelque part entre Janis et Amy, pour vous situer le niveau) ; un groupe impeccable qui sait être jouissif tout en demeurant sobre ; la faculté avec laquelle tout ce beau monde jongle avec les styles et les sous genres sans jamais donner dans l'exercice scolaire ; des compositions originales qui ne se contentent pas de tenir la route mais vous entraînent en vadrouille bien loin de notre petit univers chaque jour plus anxiogène. Il me semble que ça commence à faire pas mal de qualités. Vous pouvez immédiatement vous jeter dessus, vous ne serez pas déçus ! 

Jimmy JIMI [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !]

 


01 - Call Your Mama

02 - Hey Bus Driver!

03 - Ten Tonne Truck

04 - Queenie, Queenie

05 - You Were Mine

06 - 16 Miles Of Chain

07 - Tell Me That You Love Me

08 - Any Fool With A Heart

09 - Sister Mavis

10 - Sleep

MP3 (320 kbps) + front cover 

COOL 199 

 

 

        

jeudi 25 juin 2020

Mot à mot sur la bouche [Feuilleton par Jimmy Jimi] # 9


   Jérémy récupère son courrier : une facture d’électricité ; le nouveau catalogue d’une librairie spécialisée en éditions anciennes ; les promotions d’un magasin de vêtements et une magnifique enveloppe en papier vélin, sur laquelle a glissé une non moins superbe écriture à peine trop penchée. A la vue de cette dernière, les yeux de Jérémy abandonnent précipitamment leur orbite pour venir heurter le mur d’en face avec quelque violence ! Une fois qu’ils sont revenus se placer (non sans mal) dans leur cavité, notre ami retourne l’enveloppe pour s’assurer du nom de l’expéditrice : Natacha Pompilius. Ses pauvres yeux mouillants n’ont plus envie d’aller se cogner nulle part et se contentent désormais de couler en abondance. Toutes les sirènes d’alarme hurlent d’une même voix stridente au milieu du noir océan de la nuit. Je ne sais où me cacher. Jérémy déchire l’enveloppe comme il peut. Il déplie la lettre en tremblant de tous ses membres. Ses pupilles troublées par les larmes peinent à comprendre le sens des mots et sa raison refuse d’en enregistrer le message. Il flotte une effroyable puanteur dans le salon, comme si aucun matin ne devait plus jamais se lever. Il s’agit d’une invitation à un mariage, celui de ladite Natacha et d’un certain Isidore Lahuri (ce nom grotesque ne lui fait pas esquisser le moindre sourire, on hésite à se gausser d’un homme qui a réussi à subtiliser la femme de votre vie). Pour Jérémy, chaque mot ressemble à une insulte tracée de la main crochue du « Malin ». Les portes de l’évanouissement s’ouvrent en grand, mais au moment où il projette de se jeter sur un généreux tapis de pommes, la sonnerie du téléphone retentit.
   « Allô, mon chéri, c’est maman. Comment vas-tu, mon grand ?
   – Plutôt bien, mamou…
   – Je crois que tu oublies que tu parles à ta mère. Tu t’imagines que je ne sais pas traduire les sanglots longs qui transforment ta voix en violon monotone !
   – Je suis désolé, mais tes verlaineries approximatives ne me font pas tellement rire… Natacha va se marier, je viens de recevoir le carton d’invitation.
   – Oh, elle te convie à ses noces, l’effroyable impudente ! Mais cette saleté de morue est un monstre sadique !
   – Doucement, s’il te plaît, maman, Natacha n’a jamais été que tendresse et douceur, c’est moi qui ne la méritais pas. Toujours à la traîner de librairies en bouquinistes à longueur de week-end ; toujours à lui faire visiter des portes cochères et des cimetières pendant chacune de nos vacances : « Ici vécu tel grand poète, ici repose tel immense romancier » ; au bout d’une décennie, je peux comprendre qu’elle ait eu d’autres aspirations – et je n’ose même pas évoquer les années passées à me regarder écrire ce fichu bouquin de malheur que je n’ai jamais été capable de terminer…
   – Elle savait que tu étais écrivain quand elle t’a rencontré.
   – Tu es mignonne, mamounette, mais écrivain, c’est un bien grand mot, un bien trop grand pour moi. Je n’ai jamais été qu’un bibliothécaire anonyme pataugeant au milieu de fantasmes trop larges pour sa maigre personne. En tout et pour tout, qu’est-ce que j’ai publié qui mériterait ce titre honorifique ? Une demie douzaine de poèmes et trois nouvelles dans des revues qui sont uniquement lues par ceux qui y participent.
   – Si l’intouchable Mademoiselle Natacha (dont le départ te tourmente tout de même depuis cinq longues années) avait fait convenablement son travail de muse, tu l’aurais fini ce roman.
   – Tu le sais bien, les muses, c’est comme les anges ou les fées, ça fait très joli dans les contes, mais, au final, l’écrivain demeure infiniment seul face à l’immensité de la page blanche… J’ignore pourquoi nous en discutons encore, nous avons déjà ressassé à l’envi sur ce pénible sujet. J’ai écrit, corrigé et réécrit ce maudit bouquin dix fois sans que les deux ou trois derniers chapitres ne daignent se montrer. Il me manquait quoi, cinquante ou cent pages tout au plus ? Elles n’ont jamais voulu se laisser dessiner et Natacha aurait pu me couvrir de baisers à chaque seconde, danser le boogaloo en tenue affriolante ou invoquer les dieux de l’encre et du papier que ça n’aurait rien changé. Je me suis perdu tout seul dans ce labyrinthe de paperasse ; je me suis usé le cœur à tout reprendre encore et encore avant d’avoir effleuré un semblant de fin du bout des doigts ; j’ai tourné fou jusqu’à devenir méconnaissable et la faire fuir… Pourquoi est-ce que tu m’obliges à rabâcher une énième fois tout cet improbable charabia ? » 
   Il s’en suit un long, un interminable silence de téléphone, puis on entend un raclement de gorge, une petite toux, un reniflement, une larme qui coule, une larme qui tombe… Chacun voudrait reprendre la parole, mais, ici aussi, les derniers mots manquent à l’appel. Je dois avouer que c’est assez beau ce grand blanc entre une mère et son fils, on s’endormirait presque dedans.
   « Je vais te laisser, mamounette, je n’ai pas encore mangé… J’ai quand même été content d’entendre ta voix, je crois que ça m’a fait du bien.
   – Tu vas y aller ? Au mariage, tu vas quand même y aller ?
   – Je ne sais pas du tout, je suis encore sous le coup de l’annonce, je venais d’ouvrir l’enveloppe quand tu as appelé… Je crois que mes costumes ne me vont plus.  
   – Tu as tellement maigri, mais il est bien question de costumes ! Je n’ai pas envie de te retrouver en miettes comme il y a cinq ans.
   – Je me dis que ça pourrait m’aider à faire définitivement mon deuil.
   – Moi, je me dis surtout que tu serais capable d’offrir un esclandre d’anthologie avec cassage de figure du marié en point d’orgue !
   – C’est aussi une idée ! Enfin, la cérémonie est dans deux mois, j’ai encore le temps de peser le pour et le contre !
   – Ou, alors, tu pourrais te faire accompagner d’une escort girl – mais du genre vraiment maousse sexy ! –, l’air de dire : « tu m’as quitté, regarde un peu avec qui je me suis consolé » ! Je suis prête à participer aux frais !  
   – Tu es dingo, ma mamounette, c’est pour ça que je t’aime tellement ! Tu as vraiment bien fait de m’appeler, ce soir, tu as désépaissi mon brouillard.   
   – Je t’embrasse très fort, mon garçon, prend bien soin de toi. »
   Sans manger, sans se laver, sans même se déshabiller, Jérémy s’effondre dans le canapé et s’endort immédiatement, comme assommé sous le poids conjugué des larmes et des éclats de rires. Seul, je m’autorise encore à veiller un instant dans la pénombre. Voilà, j’ai survécu à ma première journée sur la terre, au milieu de ces êtres plus extravagants les uns que les autres. Ce n’est pas de tout repos… Mon corps n’a pas grossi du moindre gramme, personne ne l’ayant sorti de sa niche depuis le matin, mais je n’ai guère mieux à faire que de garder espoir. Bien sûr, la biographie de mon frère aîné n’a pas manqué de m’inquiéter ; pourtant, je serai toujours mieux à me faire cajoler entre les doigts de Jérémy, plutôt qu’abandonné en feuille froissée dans un tiroir secret…