Combien
de trésors sommeillent-ils encore dans les tiroirs secrets ? Au début des
années soixante-dix, Sibylle Baier enregistra une belle poignée de
chansons qu'elle oublia bientôt pour s'occuper de ses enfants... Trente
longues années plus tard, son fils retrouva les bandes et en fit un CD
qu'il offrit à sa mère. L'affaire pourrait s'arrêter là, mais ce serait
bien triste. On ne sait trop comment, mais ledit CD se mit à circuler
jusqu'à atterrir sur le bureau d'un petit label. L'album finira par
paraître en 2007 et ce n'est rien d'écrire que ce fut une divine
révélation. La douce Américaine (d'origine allemande) est une
enchanteresse. Colour Green ne connait pas de temps faibles,
juste des moments d'une incroyable tendresse et d'une infinie profondeur.
Il vous plonge dans cet extraordinaire état de grâce ou tout semble si
beau et si pur que la vie en paraît presque simple ! Une guitare en
bois, une voix, des mots : des disques tout nus, j'en ai beaucoup écouté
et, pourtant, je ne sais de quels chef-d’œuvres rapprocher ce miracle
d'émotion. S'il vous plait, prenez un petit instant pour l'écouter !
Jimmy JIMI [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !]
ARCHIVES
lundi 30 novembre 2020
SIBYLLE BAIER ~ Colour Green [1970-1973 / 2007]
jeudi 12 novembre 2020
Mot à mot sur la bouche [Feuilleton par Jimmy Jimi] # 10
J’ignore si vous connaissez l’étendue du pouvoir des songes sur un cerveau cruellement rongé par la plus douloureuse et sordide des maladies. Le sofa tangue tel un frêle esquif sur les lames affutées d’un océan en furie. D’abord, toute la journée que je viens de vous conter se rejoue en vitesse accélérée ; ensuite, j’observe mon pauvre Jérémy qui se promène dans différentes dunes du passé avec toujours cette diablesse de Natacha pendue à son cou. A force de gesticuler ainsi, il va bien finir par tomber de sa couche. Qu’est-ce que je disais, pas plus tard que tout de suite ?! Le voilà désormais affalé comme un pantin désarticulé sur le tapis persan. Il s’est fait une entaille de belle taille à l’arcade sourcilière en heurtant la table basse, mais ça ne l’a pas réveillé pour autant ; ses rêves sont trop profonds, il ne parvient plus à remonter à la surface… A force de courage et d’abnégation, il réussit tout de même à s’extraire de ses souvenirs, mais c’est pour mieux se laisser absorber par une vision totalement déjantée de l’avenir. Je le vois mieux que je ne vous devine et il s’admire dans son costume de marié (un ensemble somptueux avec queue de pie des plus chics), mais les gouttes de sang de son arcade meurtrie complique de rouge l’œillet blanc qu’il porte à la boutonnière. « Non, n’insiste pas, mon chéri, tu ne peux pas voir ma robe, ça porte malheur [Parlons-en de celui-là…] » « Tu ne vas quand même pas épouser cette saleté de morue, elle ne fera que ton malheur [Non, mais quand je disais : « parlons-en », c’était une façon de s’exprimer, chère Madame Mamounette ! »] Les dialogues s’enfilent comme des perles noires, pendant que je délire entre les crochets !
La nuit hurle jusqu’à extinction de voix. Moi-même, je ne sais ce qui me retient de mordre dans la lune ! Le salon empeste le lycanthrope ! Et puis nos jolis oisillons de l’aurore reviennent pousser la chansonnette de branche en branche, joyeux, imperturbables malgré la tragédie. L’homme (en tous cas celui qui nous intéresse) peut souffrir mille maux pendant la nuit et grimacer devant une boule de coton imbibé d’alcool. J’ai l’impression qu’il ne se souvient plus de grand-chose. Il s’applique à effacer les traces de sang. Son crâne pèse plus lourd qu'un boulet de canon.
Jérémy s’assoit sur le bord de baignoire. Il demeure un long moment sans bouger, la tête entre les mains. On dirait une statue sculptée dans le chagrin. Avant de recevoir cette maudite invitation, il ne devait guère lui rester qu’une chance sur dix millions pour que Natacha ne lui revienne un jour. L’espoir était fort mince, mais c’est à cette poussière d’étoile qu’il s’abreuvait pour trouver l’énergie qui l’aidait à se lever chaque matin. Au lendemain de l’apocalypse où va-t-il pouvoir trouver les ressources ne serait-ce que pour effectuer le moindre geste du quotidien ? Se raser, se laver, se parfumer, s’habiller, poser un disque sur la platine, préparer son petit-déjeuner, manger, vapoter et même choisir un nouveau roman : comme tout cela lui semble vain, stupide, ridicule, à crever de rire ou à crever tout court…
Le chat fait son apparition dans la salle d’eau. Cela semble lui coûter, mais il vient tout de même se frotter gentiment contre les jambes de Jérémy.
« Toi aussi, elle t’a abandonné, mon pauvre gros matou, et elle te manque ; c’est pour ça que tu disparais pendant des jours et des semaines entiers, tu cherches encore sa trace, mais, va, elle a bien su mettre la distance nécessaire entre nous pour qu’on ne vienne pas la déranger dans sa formidable nouvelle vie. Tu savais qu’elle avait des envies de mariage, toi ? Elle ne m’en a jamais parlé. C’est l’autre, là, le gars Lahuri, qui l’a piégée avec des fantasmes de petites filles : le genou à terre, la bague en diamant, la robe blanche avec traine d’un kilomètre, la valse à mille temps, toutes ces cochonneries pour princesses de peccadilles ! Il avait trop peur qu’on la récupère, alors il a décidé de l’enfermer à triple tour dans une cage dorée. Chante, mon joli rossignol, je t’offrirai davantage de graines ; déploie ton charmant plumage, bel oiseau de paradis, je glisserai des pétales de roses entre les grilles de ta prison ! Le mariage, mon voyou, c’est la facile solution pour les cœurs riquiquis qui craignent de ne pas s’aimer suffisamment ; il leur faut toute une bimbeloterie de colliers, de chaînes, de laisses et des menottes pour être tout à fait certains qu’ils sont bien attachés l’un à l’autre. Fariboles que je t’en fous ! Mais, moi-même, ai-je bien reluqué ma sale et méchante trogne dans l’eau glauque du miroir ? Si je l’aimais assez, je serais déjà clamsé depuis lurette, noyé dans de vraies larmes, pas crocodiles du tout ; je n’aurais plus qu’à me foutre de ce bazar abject, touillant ma vieille gamelle d’éternité dans la cuisine des enfers ! Et si je l’avais adorée comme elle le mérite, elle n’aurait pas fui pour Vauvert ! Le mariage, je te demande, mon grappin, à son âge (même si elle est plus jeune que moi et plus belle qu’à vingt ans), est-ce que ça ne cache pas quelque chose ? Mais quoi ? Je n’en sais rien, moi, fichtrement. Et si j’en avais la moindre idée, ça ne changerait absolument que dalle, bernique ! Je vais y aller à la chouette cérémonie, élégant au possible, gentleman dandy, impassible bien planqué dans ma souffrance, avec même le petit sourire tout gai de rigueur. Et puis, tu sais quoi, mon petit grippeminaud ? Je ne vais pas tarder à te le dire, patience et suspens ! Pan ! Pan ! En plein cœur. En plein dans son petit cœur espiègle, juste avant le fameux « oui ». Après, moi, pareil, bang ! dans le palpitant, pas de jaloux ! Chouette, très chouette, la cérémonie, sensas ! Comme ça, on pourra peut-être s’aimer une toute dernière fois au milieu du cosmos ! »
Le chat n’en croit pas sa berlue ! Autant de jérémiades et de divagations, ça vous brûlerait l’oreille la plus compréhensive ! Il quitte la salle de bain en catimini, la queue basse, dans un miaulement sourd. Jérémy ne s’en émeut pas davantage et ajoute encore quelques couplets pas piqués des vers ni des hannetons à sa lugubre chanson. Enfin, à bout de charabias, il quitte précipitamment le cabinet de toilette, pique un sprint dans le couloir et rejoint sa chambre pour se planter devant le portrait de la traitresse. Il lui hurle son amour et l’injurie dans la même phrase. La belle semble le narguer. Il pleure, geint, se lamente, lance de nouvelles incantations. On dirait qu’il attend qu’elle s’échappe de son cadre. Il répète son prénom encore et encore et toujours, lui murmure des mots doux entrecoupés des plus viles insultes. Ça y est, sa patience a dépassé tous les combles : il décroche le cadre du mur d’un geste violent, explose le verre d’un coup de poing rageur avant de déchirer la photographie en un million de confettis.
lundi 26 octobre 2020
THE PRETTY THINGS ~ Bare As Bone, Bright As Blood [2020]
Ainsi la magnifique histoire des Pretty Things s’achève ici (heureusement, il nous reste les disques pour nous rejouer l'aventure à l'envi). Étant encore en layette au moment où le groupe se formait, il m'aura fallu un certain David Bowie (deux reprises des "Pretties" sur son Pin Ups) pour m'intéresser au groupe... Des lustres et quelques chefs-d’œuvre plus tard, la pochette de ce Bar as bone, bright as blood est ornée d'un canapé vide. Le 15 mai 2020, Phil May, chanteur de l'orchestre magique, est décédé suite à un stupide et tragique accident de vélo. La vie est parfois très conne, je ne vous le fais pas dire. C'est d'autant plus cruel que ce nouvel album, entièrement acoustique, est stupéfiant de sincérité et de beauté. Ce n'est rien d'écrire qu'on a déjà entendu les diaboliques douze vieilles mesures carillonner joliment, mais rarement avec ce supplément d'âme, si souvent réclamé et, hélas, si souvent absent (en tous cas depuis un bail). Ces chansons vous attrapent au cœur dès l'ouverture pour ne plus vous lâcher jusqu'à l'accord final. Ce disque est merveilleux, ce disque est bouleversant, il vous faut l'écouter en boucle!
Jimmy JIMI [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire!]
01 - Can't Be Satisfied
02 - Come Into My Kitchen
03 - Ain't No Grave
04 - Faultline
05 - Redemption Day
06 - The Devil Had A Hold Of Me
07 - Bright As Blood
08 - Love In Vain
09 - Black Girl
10 - To Build A Wall
11 - Another World
12 - I'm Ready
MP3 (320 kbps) + front cover
lundi 5 octobre 2020
TAMI NEILSON ~ Chickaboom [2020]
La délicieuse pochette de ce Chicka boom! le bien nommé peut éventuellement être trompeuse. N'allez point vous fourvoyer : il ne s'agit pas de la réédition de l'unique et très rare album de la cousine germaine de Wanda Jackson, pas plus que des démos de la voisine de palier de Brenda Lee, mais du septième et tout nouvel album de Tamara Neilson, plantureuse chanteuse Canadienne vivant en Nouvelle-Zélande. En ce qui concerne le style, tout est inscrit sous le titre : "The hot rockin' lady of country, rockabilly & soul". Ne serait-ce pas ce que l'on désigne désormais sous la très originale appellation : americana ? Cela se pourrait bien. Autant vous le dire tout de suite : tout est très chouette sur ce disque : la voix ultra expressive de l'ogresse Tami (quelque part entre Janis et Amy, pour vous situer le niveau) ; un groupe impeccable qui sait être jouissif tout en demeurant sobre ; la faculté avec laquelle tout ce beau monde jongle avec les styles et les sous genres sans jamais donner dans l'exercice scolaire ; des compositions originales qui ne se contentent pas de tenir la route mais vous entraînent en vadrouille bien loin de notre petit univers chaque jour plus anxiogène. Il me semble que ça commence à faire pas mal de qualités. Vous pouvez immédiatement vous jeter dessus, vous ne serez pas déçus !
Jimmy JIMI [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !]
01 - Call Your Mama
02 - Hey Bus Driver!
03 - Ten Tonne Truck
04 - Queenie, Queenie
05 - You Were Mine
06 - 16 Miles Of Chain
07 - Tell Me That You Love Me
08 - Any Fool With A Heart
09 - Sister Mavis
10 - Sleep
MP3 (320 kbps) + front cover