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lundi 25 janvier 2021

Mot à mot sur la bouche [Feuilleton par Jimmy Jimi] # 11


 

   Au milieu de ce sinistre puzzle, il me semble qu’un œil me fait un clin. Vous n’avez jamais vu (ou alors vous êtes particulièrement chanceux) un iris d’un bleu turquoise aussi envoûtant. J’aimerais y voir comme le fameux signe du destin… Jérémy admire son œuvre destructrice d’un regard torve. Il n’a pas du tout l’air d’aller mieux. Pour preuve, il pousse un cri, plus ridicule que démoniaque, et retourne à la course vers le salon. Il n’est pas rassasié, je sens qu’il a encore soif de carnage. Son cœur bat une étrange chamade. Oh ! je ne m’y attendais pas – naïf que je suis –, je viens tout juste de comprendre l’imminente menace, et je me trouve sans la moindre défense. Je tremble comme une feuille que je ne serai sans doute bientôt plus. J’entends sonner l’ignoble hallali. L’impitoyable monstre veut détruire sa créature à peine formée. Il fonce sur le secrétaire, fracture la niche secrète sans scrupule, et me voilà, à mon tour, transformé en une ridicule pluie de confettis. L’infâme forfait n’a pas duré dix malheureuses secondes. Je ne sais ce que vous en pensez, mais, en ce qui me concerne, je trouve que la scène a manqué de cérémonial, de dramaturgie, du moindre petit effet qui aurait démontré un minimum de considération. Je vous le demande : est-ce que vous trouvez ça juste que certains manuscrits soient dorlotés par leur auteur pendant des mois et des années, alors que d’autres se font réduire en poussière après quelques heures seulement et sans le plus infime égard ?
   Désormais, je vois comme à travers le voile d’un brouillard, mais si je m’exprime encore et que vous êtes toujours là, c’est que la partie n’est peut-être pas définitivement terminée. Evidemment que Jérémy pense encore à Natacha et à votre humble conteur : à l’instant même, il vient de comparer son acte barbare et lâche à celui de Raskolnikov, personnage principal du Crime et châtiment de Dostoïevski, lequel, si je comprends bien, y joue de la hache sur le crâne d’une vieille usurière et de sa sœur. S’il songe de nouveau à la littérature, c’est plutôt bon signe ; c’est en tout cas ce que je me plaisais à penser avant qu’il ne s’évanouisse. Diantre ! il fait si sombre dans ce déprimant cagibi, il n’y a même pas un semblant de rêve pour éclairer ma modeste lanterne. C’est moi, maintenant, qui tourne et me retourne dans cette cage sans issue. J’ignore si j’ai peur ou si je m’ennuie seulement. Le temps ne semble pas vouloir s’écouler ; je fais, pour ainsi dire, les cent pas dans cette caboche où il n’y a plus âme qui vive. Si je pouvais, je lui flanquerais un méchant coup de pied dans l’oreille interne pour le réveiller ! « Si j’ai peur ou si je m’ennuie seulement ? » Quel bluffeur ! Bien sûr que j’ai peur, j’ai même une trouille de tous les diables. En vérité, je me demande si je me trouve toujours dans ce cerveau comateux ou si je suis en train de délirer au fin fond du sommeil éternel. Oh ! sa paupière gauche vient de cligner très légèrement. J’en suis certain, ce n’est pas une hallucination. Il le faut ! Je lance tout ce que je peux comme prières au Dieu des brouillons et des tâches d’encre ! Rien, plus rien ; il ne se passe plus rien. Cette maudite paupière demeure inerte. Je guette un ronflement, un souffle minuscule, mais rien ne vient ni du dedans ni du dehors. A force de concentration, je parviens tout de même à discerner les faibles battements de son cœur scélérat. C’est une victoire immense, un soulagement sans nom. Le petit palpitant fragile lance des « pouf, pouf, pouf » à peine audibles mais qui résonnent tel un délice symphonique. On dirait des gouttelettes de pluie tombant dans une coupe de champagne pour s’y encanailler ! J’imagine une multitude de couplets et de refrains sur cette mélopée minimale. J’ai l’impression d’être un peu ivre.
   Soudain, je sens sa lourde carcasse qui essaye de se remettre en branle, et ça s’agite aussi douloureusement à l’étage. Il y a tout un complexe système à réorganiser, ça ne va pas sans quelques heurts. Finalement, Jérémy parvient à se mouvoir jusqu’au téléphone. Il s’y reprend à plusieurs reprises avant de parvenir à composer convenablement le numéro désiré.
   « Cabinet du Docteur Michard, bonjour.
   – Bonjour, Madame, Jérémy Valmont à l’appareil, je me suis bêtement ouvert l’arcade sourcilière à mon réveille, et je me suis évanouie dans la foulée.
   – Ne quittez pas une minute, s’il vous plaît, Monsieur Valmont, j’en avise tout de suite le Docteur… Bien, vous pouvez passer quand vous voudrez, le Docteur vous recevra entre deux rendez-vous. A tout à l’heure. »
    Jérémy se douche et s’habille tel un somnambule. Il n’y a plus grand-chose qui parvient à grimper jusqu’à son cerveau. La maison est envahie par la brume.
 
   Il pleut, il mouille, c’est la fête à la gargouille ! Et voici mon homme qui se lance dans un nouveau monologue, toujours plus siphonné, pendant que son arcade dégouline en abondance : « Si seulement je pouvais mourir d’amour : la belle opportunité ! Mais c’est encore une sale lubie de scribouillard bien miteux, une méchante invention de réalisateur en mal de pathos ; personne ne meurt par passion dans ce monde absurde – ou alors, c’est que je ne l’aime pas suffisamment ; sinon, j’en crèverais sur place, dans l’impossibilité de respirer, étouffé dans mon vomi d’absence… »
   A présent, il ne prend même plus la peine de baragouiner, il se contente de pousser des petits cris d’animaux pris au piège. Il boit tout le rouge de son sang à mesure qu’il lui coule dans la bouche. Il pense à l’incarnat des lèvres de Natacha et il les mord en imagination avant d’éructer un autre refrain maudit. Il croque dans sa langue pour qu’elle ne puisse plus répéter son ignoble laïus de départ. Comment a-t-il pu la laisser filer dans un autre monde ? La question se joue en boucle comme sur un disque rayé. Il n’en finit plus de se torturer. Des passants se retournent sur son passage, mais il ne voit plus rien, ses pupilles sont vitriolées par les larmes... Il est encore loin ce satané cabinet ? J’ai l’impression que Jérémy marche depuis des heures. Un chien lui aboie dessus comme si son paletot sentait l’urine de Cerbère.
   Je crois que nous y voilà enfin. Jérémy peine à grimper les étages. Son visage est entièrement couvert de sang. Il vacille à chaque marche. Il termine les derniers mètres en rampant jusqu’à la porte du généraliste. Je suis quasiment obligé de sonner à sa place ! « Natacha » est le dernier mot qu’il prononce avant de replonger dans les vapes.
 

mercredi 13 janvier 2021

2021


Bonne année, bonne santé et plus de Covid le plus rapidement possible! Sonnez batteries, résonnez guitares! 2021 débute en fanfare, car notre ami Lord Violin a profité du confinement pour enregistrer un nouvel album (on en reparle dès que je serai sorti de ma léthargie) et notre copine Audrey Songeval (voir photo!) se lance à son tour dans l'aventure du blog musical avec Les Rubriques En Vrac Du Rock. Je compte sur les fidèles pour l'encourager comme elle le mérite.

https://lesrubriquesenvracdurock.wordpress.com/ 

Un bisou virtuel à chacun d'entre vous!

Jimmy JIMI