ARCHIVES

mercredi 12 avril 2017

Pour la beauté du geste (feuilleton électrique) par Jimmy Jimi # 135


135. AS TEARS GO BY [MARIANNE FAITHFULL] 

   Mes deux bons gros gars de la B.I.D. disparurent donc dans l'infini des limbes mystérieuses, mais le véritable hélicoptère ne tarda pas à transpercer le rose vaporeux des nuages. J'eus à peine le temps de ranger mon Desertshore dans la pochette du Fisher-Z avant de le cacher dans un placard de la cuisine. Evidemment, je perdais là un bien précieux collector (à ma connaissance, il n'avait pas été réédité dans l'une de ces dispendieuses nouvelles versions en 180 grammes), mais ce geste généreux sauverait peut-être un malheureux, pressé par l'adversité. Cela me semblait en valoir la peine – et quand on a expédié un type dans les profondeurs du coma, on ne craint plus de contrevenir au règlement d'une quelconque brigade.   

   Comme lors du voyage aller, on me posa un masque de sommeil sur les yeux et le casque d'un lecteur mp3 sur les oreilles. C'était tout à fait inutile. Une trouille immense mangeait mes sens et je ne parvenais plus qu'à distinguer l'écho de moins en moins lointain d'une grille qui se referme en écrabouillant le chant de la liberté. Au fond de mon ciel noir et sourd, les oiseaux de malheur pouvaient jouer de la harpe maudite en ricanant. Il n'y avait plus de désert ou fuir et l'Ile du Diable gagnait du terrain sur la mer.   

   Me laisserait-on seulement le droit d'embrasser mon amoureuse et ma fille une dernière fois avant de m'envoyer lécher les murs lépreux de la geôle ? La question s'étira sur des centaines de kilomètres... J'avais mal au cœur. On ne pèse jamais le poids de cette phrase.

   Du tarmac de l'héliport, j'entrevis des centaines de flics et de militaires. C'était quand même un peu abusé, comme dit ma petite chérie, je n'étais pas l'ennemi public n°1 ! 
   En fait, tout ce petit monde armé jusqu'aux dents acérées se déployait dans un exercice antiterroriste, et nous gagnâmes la voiture de la Brigade sans qu'aucun lascar en uniforme ne pense à me passer les menottes. Ce fut le plus long trajet de toute mon existence. Il pleuvait à verse, la circulation se montrait difficile. J'essayais de me relire la lettre de Mary pour me donner du courage et croire au miracle, mais la vision des flics m'attendant devant la maison me faisait hurler en sourdine. A mi chemin, la pluie redoubla et le ciel prit des couleurs d'apocalypse.

   « Pour votre retour, vous n'êtes vraiment pas gâté, me souffla un des deux brigadiers. »

   On aurait dit qu'il savait – qu'il savait que, dans un instant, j'allais changer de véhicule pour un fourgon qui ferait marche arrière vers Fleury, la mal nommée. Déjà, je ne reconnaissais plus l'entrée de la ville, comme si je revenais de cent ans d'un bagne qui ne m'avait pourtant pas encore avalé. 

   La voiture tourna pour glisser dans ma rue. Je retenais mes larmes depuis si longtemps qu'elles finirent par déborder à l'intérieur. 

    

17 commentaires:

  1. Quoi ? Tu nous laisses là ? Sans plus d'explications ? Putain, mais qu'est-ce qui va arriver ? Pourquoi cette extraction ? Pourquoi cette soudaine angoisse ? Pourquoi toute cette pluie ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
    Ah, mon salaud, tu joues avec nos nerfs ! Tu éparpilles tes petites miettes de pain pour mieux nous mener là où TU as décidé que nous devions être.
    Ne quitte pas ton stylo virtuel et dis-nous vite la suite !!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'angoisse n'est pas soudaine, pour mémoire, Jimmy a fuit sur l'Ile Déserte parce qu'il a tabassé le "Monstre" au point de l'expédier dans le coma.
      J'espère livrer la suite la semaine prochaine et vous mener vers la dernière ligne droite.

      Supprimer
    2. Dans cet épisode, l'angoisse est vraiment palpable alors que sur l'île le petit Jimmy semblait retrouver une certaine sérénité

      Supprimer
  2. C'était pour mieux enfoncer le clou, aujourd'hui! En même temps, sentant qu'il n'y a plus échappatoire, c'est logique que la panique grimpe.

    RépondreSupprimer
  3. D'un chapire à un autre, tu bascules d'une émotion à une autre. Je trouve que tu as très bien retranscrit la gravité de la situation, avec ton style et tes mots amis avec une plus grande sobriété que d'habitude, ce qui la rend plus palpable et réaliste (même si tes images et métaphores peuplent toujours ton texte).

    Et puis il y a cette dernière phrase qui résume finalement tout:
    "Je retenais mes larmes depuis si longtemps qu'elles finirent par déborder à l'intérieur"

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ton commentaire est parfait! En tous cas, tu as reçu exactement le colis que j'ai essayé d'envoyer.

      Supprimer
  4. J'avoue que les deux derniers épisodes m'ont fait un peu décrocher (je n'ai pas compris leur utilité et j'ai trouvé cette digression très - trop - longue)... Je reviens donc dans l'histoire !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il parait que tous les goûts sont dans la nature et qu'il faut de tout pour faire un monde! Certains lecteurs ont pensé qu'il s'agissait de mes meilleurs pages. A mon sens, dans un roman, tout ne doit pas forcément être utile (pour reprendre ton mot) à l'histoire, il y a, aussi et justement, la beauté du geste! Cela ne m'empêche pas de respecter ton point de vue.

      Supprimer
  5. tout pareil qu'Audrey ! (oui ? la flemme ? non ! même pas ! c'est juste que là c'est "juste" et fort à la fois, du coup en faire trop reviendrait à réclamer la même chose et, donc, à ne pas être dans le bon ton)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tant que c'est pour dire du bien, cela me sied à merveille!

      Supprimer
  6. Yo
    Je pencherais moi plutôt du côté d'Arewe mais tu sais déjà que dans le feuilleton électrique ce qui m'intéresse c'est l'électricité ...
    C'est quand qu'on la rebranche ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je pourrais remplir une page entière avec le nombre de fois où tu m'as posé cette question. Je ne suis pas dupe, je sais que tu commentes plus par amitié et fidélité envers le blog que par intérêt pour mon histoire ou mon style. J'adore "l'électricité", mais l'électricité pour l'électricité, au bout d'un moment, ça nous fait tourner en rond, désolé d'avoir envie de mener l'affaire un tout petit peu plus loin.

      Supprimer
    2. Ah non non, je ne fais pas grand chose systématiquement,
      j'aime bien te lire et te taquiner (même à répétition...)

      Supprimer
  7. Mon commentaire tourne dans ma tête depuis pas mal de jours. Je suis partagé entre te complimenter sur l'imagination et l'écriture et c'est sincère, mais partagé... quoi, quand même. Une île fantastique, des enceintes géantes, je m'y croyais déjà, abandonnons nous au surréalisme, à la déesse cachée dans la jungle, notre héros à demi nu qui découvre les origines du Talkinh Heads qu'il adore... des rencontres avec le mal innocent, ta version de "au coeur des ténèbres"... ben oui, j'y croyais...
    He non, je n'écrirais pas "mon" histoire, car je n'ai pas la bonne foulée.
    Donc nous revoilou sur la terre ferme!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je comprends ton point de vue, mais j'ai une histoire à respecter et, dans mon esprit, j'imaginais mal mon narrateur s'éclater sous les enceintes géantes, alors que la prison lui pend au nez. Et, dans un sens, je trouve que ce "ratage" est encore plus fort.

      Supprimer
  8. Un peu à la bourre...

    Je rejoins l'avis d'Arewenotmen. Même si j'ai apprécié ton escapade sur l'ile (digne de "Las Vegas Parano" pour le côté surréaliste...), je suis content de revenir à l'histoire. Enfin peut-être pas d'ailleurs.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour moi, on n'a pas abandonné l'histoire, c'était juste un tantinet plus introspectif!

      Supprimer