"Je suis
un mec qui perd pas de temps." Michel Petrucciani pressentait que sa vie
serait brève, et il l'a menée tambour battant. Premier enregistrement à l'âge
de dix-sept ans, où il fait déjà preuve d'une maturité étonnante. L'année suivante,
il s'installe en Californie où il convainc le saxophoniste Charles Lloyd de
remonter sur scène. Au cours
d'une courte carrière de dix-neuf ans, il grave vingt-quatre albums sur lesquels il croise la route de
noms prestigieux du jazz français et international : Wayne Shorter, Marcus
Miller, Joe Lovano, Eddie Louiss, Aldo Romano. Malgré cela, l'essentiel de sa
discographie se compose de sessions en solo, en duo ou en trio. Le style
volubile du Michel des premières années s'accommode d'ailleurs mieux de ces
petites formations. Ce florilège
respecte méticuleusement la chronologie, sans exclure les premières sessions où
Michel joue sur des pianos un peu douteux, voire complètement désaccordés,
comme dans l'album Estate enregistré en Italie sur un piano qui
tient plus de la casserole que d'un instrument digne du pianiste orangeais.
C'est en partie pour cette raison qu'on trouve une deuxième version de ce thème
(Estate) cher aux aficionados de Claude Nougaro. Deux versions également de
September second, d'abord parce ce thème est magnifique et ensuite parce
qu'elles sont suffisamment différentes pour illustrer deux facettes du
musicien. Il n'y a
quasiment rien à jeter dans la discographie de Michel Petrucciani, mais je vous
recommande particulièrement Lovelee, en duo avec Steve Lacy, enregistré
au Bösendorfer Center de Paris sur un excellent piano. Également la première
version de September song avec une section rythmique fabuleuse,
composée notamment d'Omar Hakim (Weather Report, Steps Ahead, David Bowie),
l'un des meilleurs batteurs à avoir accompagné Michel. Et aussi Turn around enregistré en public au Newport Jazz Festival où l'on entend
Michel ânonner à la manière d'un Glenn Gould ou d'un Keith Jarrett. Pour la même
raison, prêtez une oreille attentive à Charlie Brown avec Tony
Williams et une section de cordes, à Chimes avec Steve Gadd, et au
monument du jazz français Les Grelots avec Eddie Louiss. Michel repose
en bonne compagnie au cimetière du Père-Lachaise, à côté de Frédéric Chopin, de Jim Morrison ou de Mano Solo. Je me souviendrai toujours de son arrivée sur
scène dans les bras d'Aldo Romano et de sa façon de sauter d'un bout à l'autre
du clavier en s'appuyant des deux mains sur son siège.
ZOCALO [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !]
"Je raconte à Sylvie comment j'ai connu Petrucciani dès 1976 par René Giner à Béziers, à Sète, dans toute la région que ce "Jazzimodo" écumait. On se moquait de lui (surtout Paudras), mais peu à peu, du "C'est pas mal pour son âge et sa difformité", le milieu du jazz est passé à "C'est génial malgré son handicap". De monstrueux, il était devenu "monstrueux". Je le reverrai toujours au Cardinal Paf en 1980 pour la sortie de To Bird with love. Aldo Romano avait un peu le bras fatigué de le porter comme un fauconnier son oiseau précieux et redoutable, alors il l'a installé dans une niche de la cave voûtée. Dans la pénombre enfumée, Petrucciani ressemblait à une gargouille médiévale encastrée dans la pierre, vomissant des jurons..." (Marc-Edouard NABE in Kamikaze, Journal Intime 4)
Michel Petrucciani est comme les très belles actrices, on parle toujours de son physique avant d'évoquer son talent ! Enfin assit sur le tabouret, il pouvait oublier ce corps ingrat et le regard des autres, transformé en une oreille géante et décollée par le plaisir. Là, il lâchait ses doigts telle une armée d'araignées à l'attaque des touches d'ivoire. Là, le freak devenait magicien...
Jimmy JIMI
CD1 :
01 - Hommage A Enelram Atsenig (1981)
02 - Afro Blues (1981)
03 - Estate (1982)
04 - Lee Konitz & Michel Petrucciani - Lovelee (1982)
05 - Amalgame (1982)
06 - Turn Around (1983)
07 - Say It Again And Again (1984)
08 - Bimini (1986)
09 - She Did It Again (1987)
10 - O Nana Oye (1989)
11 - September Second (1991)
CD2 :
12 - Estate (Live At The Arsenal 1991)
13 - Billie's Bounce (1992)
14 - In A Sentimental Mood (1993)
15 - Blues In The Closet (1994)
16 - Besame Mucho (1994)
17 - Charlie Brown (1994)
18 - Les Grelots (1994)
19 - Little Peace In C For U (1995)
20 - Chimes (1997)
21 - September Second (1997)
MP3 (320 kbps) + front cover
Malgré sa taille, c'était un grand Monsieur. Un immense talent.
RépondreSupprimerHabitant pas loin de Marciac, j'ai pu le voir plusieurs fois à "Jazz in Marciac".
La dernière fois en août 1999, quelques mois avant son décès.
Quelques heures après son concert, nous pouvions le croiser à la terrasse d'un café sur la place du village discutant avec son public et se réjouissant de son concert.
Et il y avait de quoi.
Chaque année, pour moi, son image plane sur le festival.
Jean-Paul
Bonjour,
RépondreSupprimermerci pour ces moments de piano, sublimes!
Dans mes z'oreilles en ce moment :
https://soundcloud.com/faraomusic
https://soundcloud.com/deadwoodsound (de Brest)
Les femmec(es) sauveront le monde...
Cela fait partie de ces merveilleux grand écart que ce blog propose et que j'apprécie tant. Passé de Thunders à Petruciani, qui d'autre pourrait le proposer?
RépondreSupprimerJe ne connais rien de ce grand monsieur du jazz. Donc une compil comme qui dirait construite pour moi!
Merci à tous!
Un immense merci Zocalo pour ce billet/compil..........à la taille de ce très grand musicien.
RépondreSupprimerEt bien sûr, encore bravo pour cette série que j'espère voir nous enchanter longtemps
Je ne vais pas vous dire que tout d'un coup j'aime le jazz… non, non ! Par contre j'aime le "personnage" Petrucciani qui était un peu comme une "anomalie" dans le petit monde de la musique où tout est si calibré. Il me fait penser à Jimmy Scott, autre musicien de jazz au corps bien cabossé.
RépondreSupprimerplutôt que de dire combien l'artiste est sublime et le florilège de bon aloi... une anecdote que, je pense, tout le monde connaît. Le titre (très bon et présent dans la compilation de Zocalo) "she did it again" se nomme ainsi car une chienne appartenant à un mec du studio pétait souvent et ça puait la mort. D'où le "she did it again" pour signifier qu'encore une fois, la chienne avait pété. Oui, je sais c'est con, c'est scato... mais ça prouve que la musique (comme la littérature, comme la vie) c'est aussi du fun et du rire. Parce que sinon, on finirait par croire que les amateurs de jazz sont des vieux sérieux :)
RépondreSupprimerthx !
Evoquer Michel Petrucciani, c'est presque toujours parler de son handicap. Pourtant, pour l'avoir découvert à la radio, ma première approche n'a pas été celle-ci. Je connaissais déjà sa musique quand j'ai appris qu'il était atteint, comme on disait à l'époque, de la maladie des "os de verre". Je me souviens même que je lui reprochais son manque d'audace, moi qui ne jurait à ce moment-là que par Chick Corea et Herbie Hancock...
RépondreSupprimerJ'ai eu la chance de voir Petrucciani en concert au début de sa carrière... mais je n'ai jamais réussi à m'enthousiasmer vraiment pour sa musique et ce malgré son très grand talent...allez savoir pourquoi...question de discours, qui nous touche ou pas...
RépondreSupprimerMrs pianistes français (mais le jazz se moque des nationalités) ? Martial Solal, encore fabuleux à plus de 80 ans (vu très récemment à Lyon), Stephan Oliva (on était moins de dix dans la petite salle du Périscope, près de la gare de Perrache; à la fois une honte et un grand privilège), Jean-Michel Pilc, hélas pour nous très souvent à New York...
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