C’est l’histoire d’un geste suspendu. Un geste qui n’attendait pas forcément de résolution, et qui aurait pu rester en l’état, dans un entredeux. 36 ans après avoir été coupé dans son élan, il a toutefois repris sa trajectoire, sans avoir perdu de sa grâce, ni de sa nécessité. La chose est rare. En musique, on connait surtout des enchanteurs d’hier qui reviennent nous annoncer que la fête est finie. Il semblerait qu’on en veuille souvent à nos souvenirs. Et ceux qui nous ont jadis nourris, transportés, sont parfois les premiers fossoyeurs de la magie d’antan. Etrangement, je n’ai pas craint une seconde que ce soit le cas avec Marquis de Sade. Je n’ai pas éprouvé le scepticisme habituel à chaque annonce de reformation. Quand j’ai appris qu’ils revenaient aux affaires le temps d’un concert, mon premier réflexe a été le bon : j’ai pris ma place. Pas tant pour faire les yeux doux à ma jeunesse enfuie que pour savoir enfin ce que "ça" faisait de recevoir frontalement ce son là, ces chansons là, en direct. Marquis de Sade a toujours été un groupe intimidant. Il était finalement plus simple de se raccrocher aux émanations de celui-ci après sa dissolution, Marc Seberg dès leur second album ou Octobre : leurs répertoires respectifs étaient moins âpres, plus aimables pourrait-on dire. Mais la trace laissée était indélébile. On en parlait comme de notre Velvet à nous. On regardait d’un autre œil ceux qui nous disaient les avoir vus sur scène. La ferveur était intacte. Je me souviens d’une chronique de Philippe Manoeuvre parlant de gens qui avaient acheté les disques de Marquis de Sade rien que pour le nom du groupe. On en était là, oui. Absent, le Marquis ? Ce n’est pas ce que nous disaient nos oreilles quand on tombait sur une vidéo du groupe, qu’on entendait un de leurs morceaux ; il était d’une époque, évidemment, mais jamais on ne pensait qu’il fût "daté". L’intensité n’a pas d’âge. Alors le 16 septembre 2017 à Rennes, on eût finalement moins le sentiment de retrouvailles impromptues ou trop longtemps différées, que d’une évidence : le geste méritait une suite, depuis toujours. Et que ce fût un nouveau départ ou une fin en soi n’importait pas. L’essentiel était que ça se produise, et que l’attente ne soit pas déçue. Tous ceux qui étaient là vous le diront : nous avons ce soir-là été emmenés par Marquis de Sade bien au-delà des attentes. D’abord du fait de la grâce des chansons elles-mêmes, tant celles de Dantzig twist que celles de Rue de Siam, qui ont conservé leur pertinence et leur tranchant. Tant dans les moments de tension (Henry, Conrad Veidt…), que dans les passages plus atmosphériques (Silent world, Rue de Siam, une veine qu’on rêverait de voir le groupe creuser, si d’aventure…), la qualité et la modernité de leur écriture frappaient à nouveau les esprits. Le groupe n’a pas été en reste, d’une cohésion étonnante, convoquant comme hier Television, Pere Ubu ou les Talking Heads ; les guitares de Franck Darcel avec Tox Géronimi en renfort, la section rythmique d’Eric Morinière et Thierry Alexandre, et le sax de Daniel Pabeuf ont dialogué avec le même à propos, la même absence de complaisance qu’avant. Et puis, bien sûr, il y a Philippe Pascal. A la voix et au magnétisme inaltérés. Dire de lui qu’il est habité serait peu : pour paraphraser Bashung, il est "noir de monde". Empli de cette humanité sensible jusque dans l’émouvante et sobre dédicace aux amis disparus. Avec cette pudeur que les imbéciles, accoutumés à la démagogie scénique lambda, ont toujours confondu avec de la froideur. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de croiser Philippe, et je ne pouvais à chaque fois m’empêcher de lui demander quand il comptait « revenir ». Il me répondait immanquablement avec une fermeté pleine de courtoisie que la musique réclame qu’on lui accorde toute la place et que pour l’heure, la place était prise. C’est une idée de l’engagement, qui est celle du groupe dans son ensemble. L’enregistrement du concert du Rennes en rend bien compte : on ne joue pas « ça » comme ça, avec cette force et ce soin porté au visuel, projections vidéo et lumières de haute volée à l’appui, sans être pleinement investi, sans que le don soit total. A mille encablures de la dictature contemporaine du "cool", d’un détachement prétendument de bon aloi. En même temps qu’une certaine idée de l’élégance. Cette élégance que Marquis de Sade injecta un jour dans le rock en France, à une époque où celui-ci en était si peu pourvu. Et qu’il réinjecte aujourd’hui encore via son concert, et cet enregistrement live, réactivant un répertoire dont l’éclat a sans doute, avec le recul, galvanisé ses propres créateurs. On se plaira à penser qu’ils en ont été les premiers surpris, voire troublés, et que ce trouble a sa part dans la fraîcheur de la revisitation. Etre dépassé par ce qu’on a écrit, joué : il n’est pas de meilleur ressenti pour un artiste, ni de preuve plus tangible d’une nécessité.
DOMINIQUE A
DOMINIQUE A
01 - Set In Motion Memories
02 - Henry
03 - Final Fog (Brouillard Définitif)
04 - Air Tight Cell
05 - Rue De Siam
06 - Nacht Und Nebel
07 - Silent World
08 - Skin Disease
09 - Walls
10 - Conrad Veidt
MP3 (320 kbps) + front cover
Malheureusement, le disque ne restitue pas le concert dans son intégralité...
RépondreSupprimerCe Dominique A, c'est un nouveau Lustucru que tu as recruté? ^-^
RépondreSupprimerTrès beau texte. Décidément, on a droit à de la lecture sur ton blog depuis 2018!
J'ai bien apprécié l'interview du groupe dans R&F, même s'il y avait un peu de condescendance à l'égard des nouveaux groupes. Je pense que c'était plus simple à l'époque pour percer qu'aujourd'hui. Il y a tellement d'offre! Tellement de style! Et il devient impossible de fédérer vraiment une génération autour d'un ou deux artistes ou groupes. Mise à part ça, je trouve que leur histoire était bien raconté et j'ai aimé partagé avec eux cette petite intimité qui transparaissait au travers des mots.
Même si on critique beaucoup les reformations, il y en a quand même beaucoup qui se font avec une vraie ferveur et souvent dans les groupes qui ne font pas que ça pour l'argent parce qu'ils ne rempliront jamais les stades.
En limitant ce concert à une unique date, à Rennes qui plus est, le geste de MS est d'autant plus beau et fort. Et il crée également cette chose qui devient si rare de nos jours: la frustration de l'unique et de l'éphémère. Et YouTube transmettra toujours imparfaitement l'effet qu'il y a d'être dans la salle. On était pas dans la salle et peut-être n'aurons-nous plus d'autres occasions?
A ce que j'ai cru comprendre, il y a eu deux autres dates, dont une à Paris que j'ai lamentablement manquée.
SupprimerJe suis beaucoup plus interloqué par l'écriture de Domninique A que les travaux du MDS, j'ai pourtant essayé ce rock de Rennes côtoyant Daho .. D'ailleurs je me suis toujours demandé pourquoi j'étais tellement accroc aux albums de DA connaissant certaines de ses nombreuses influences artistiques.
RépondreSupprimerTexte implacable.
Merci pour lui!
SupprimerSacré coup de rétro-pédalage : le Marquis, c'était quand : 30 ans, 40 ans ?
RépondreSupprimerLe groupe a démarré en 77...
SupprimerLoin de l'intégralité c'est peu dire Jimmy. A peine la moitié: 10 sur la vingtaine interprété sur scène. Pour les séances de rattrapage, les MDS seront aux Vieilles Charrues le 19 juillet et ont confirmé une dizaine de dates en 2018.
RépondreSupprimerJe n'imagine pas trop le Marquis dans un festival, j'espère pouvoir les voir ailleurs...
SupprimerInteressant et j'espere qu'ils vont enregistrer de nouveaux titres! Parlons de 'revenants', Kas Product, mon groupe mythique des annees 80, y a des nouveaux enregistrements, ou au moins d'enregistrement de concerts? Quelqu'un peut partager?
RépondreSupprimerKas Product se reforme épisodiquement depuis les années 2000, mais je n'ai pas vu passer d'enregistrement (hélas). J'ai de très bons souvenirs de Mona, j'ai même été son nettoyeur de chaussures attitré lors d'un concert à Londres, alors qu'elle chantait avec Patrick Eudeline!
SupprimerVeinard! Ah, ce que j'aurais bien aime etre a ta place!
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerPour le coup c'est cette superbe chronique qui est intimidante. Exprimer ses réserves ensuite même en prenant des précautions écritatoires - ce que je tente de faire ici - devient périlleux.
RépondreSupprimerMe remontent des souvenirs qui alimentent ces réserves. J'ai adoré aimer MS, nous étions nombreux à s’imprégner de leur atmosphère. Les avoir vu sur scène à l'époque m'a fait prendre des distances avec mes premiers sentiments pour ce groupe. J'avoue que mon avis n'était pas partagé par mes amis, ils avaient ressentis du magnétisme et moi du maniérisme. Ensuite, à l'écoute de leurs toujours fabuleux albums j'avais cette image de théâtralité forcée du chanteur qui m'interdisait de me plonger comme avant dans la musique. Comme une annonce de l'engouement à venir pour CURE.
En lisant cette chronique je me retrouve 40 ans en arrière avec les mêmes doutes à partager. J'aime la nostalgie au présent. Bravo A
Magnétisme ou maniérisme, théâtralité forcée... Tout ça est évidemment affaire de ressenti. Je ne pourrais lui jeter la pierre car je crois que j'en faisais moi-même deux fois plus quand je me trouvais sur scène! Dans la plupart des cas, ce n'est pas de la surenchère, c'est seulement la musique qui t'emporte. J'avais, par exemple, l'étrange habitude de m'auto gifler! Avec Marc Seberg, l'ambiance générale s'étant un tantinet calmée, Philippe Pascal devint un peu moins démonstratif...
SupprimerBonjour, je ne suis ni de France, encore moins de Rennes (en fait je suis Condruzien), et donc fus plutôt versé sur TC Matic que Marquis de Sade dans la fin de mes années septante... Mais votre excellent blog va me permettre de combler cette lacune :-)
RépondreSupprimerEt tant qu'à faire, j'ai une requête, dans un style pas trop éloigné (si ?): j'ai complété ma collection de Daniel Darc post-2000 (je n'avais que le miraculeux Crève-coeur), avec les CD (au prix scandaleusement bas sur Amazon) de "La taille de mon âme" (splendide) et le posthume "Chapelle Sixteen" (très bon, mais sur-produit ?). PAR CONTRE malheureusement "Amours Suprêmes" est introuvable (sauf sur le marché d'occases, mais cher), même en mp3 officiel !
Quelqu'un pourrait-il partager cet opus svp ?
En vous remerciant d'avance,
Vincent
Je vais essayer de m'y coller, mais je te demanderais un peu de patience.
SupprimerMerci ! et évidemment oui, pour la patience ;-)
SupprimerVincent
Salut Jimmy. Je n'avais pas entendu parler de cette reformation et, si ça avait été le cas, j'aurais ressenti beaucoup de méfiance. Etre après avoir été...
RépondreSupprimerMais Domminique A emporte le morceau, il donne envie d'y plonger sans réfléchir.
Magnétique, hypnotique, c'était bien le Marquis de cette époque, mais nous-même étions encore adolescents ou presque, et prompts à nous laisser hypnotiser par de telles icônes. Est-ce qu'aujourd'hui la magie opèrerait de la même façon ?
Dernière petite réticence, en lisant "le sax de Daniel Pabeuf" il me revient en mémoire un concert (à Vienne je crois) où l'abus de sax nous avait un peu gâché le concert et sorti de l'ambiance.
Si la magie existe pas sûr que l'enregistrement ou la vidéo lui fasse honneur mais ça me donnera peut-être envie de guetter une date prochaine.
Histoire de causer, je me souviens des débats entre potes. Nous avions vu aussi Talking Heads et forcement comparé. Et c'est là le désaccord, moi j'étais dans le camp de ceux qui pensaient que D Byrne était davantage "possédé" "incarné" sans en faire des tonnes, l'autre camp préférait les artifices de show théâtrale de P Pascal.Et encore, c'est moi qui glisse le mot "artifice" histoire de faire pencher le débat. J'aimais bien ces discuss un peu stériles et qui donnaient soif. Heureusement il me reste des potes et des sujets dans cet esprit pour faire perdurer
SupprimerC'est un des intérêts de la musique que de nous faire parler et disserter sur les goûts et les ressentis de chacun. Sans ça on aurait pas de blogs.
SupprimerJ'ai pas vu TH en concert donc impossible pour moi de comparer. Concernant P. Pascal, je suis d'accord avec toi sur le côté "théâtral" mais pas sur "artifice". Il me semble que son jeu de scène est instinctif et pas préparé. But who knows hein...
Il faut comparer ce qui est comparable: d'abord, David Byrne joue de la guitare (ce qui occupe généralement pas mal les mains!), ensuite, la musique et les textes de Talking Heads n'ont pas la même puissance dramatique, dont ils appellent une autre gestuel...
SupprimerYo !
RépondreSupprimerJe n'ai jamais cédé à la magie, s'il y en a une, du MDS, j'ai essayé et c'était pas pour moi.
Je les trouve par contre sereins et puissants dans cette vidéo, moins maniérés (pour reprendre les termes de Dev) peut-être que dans le passé.
Ils ont épuré leur jeu comme on dit dans le foot!
SupprimerMoi c'est pareil, c'était plutôt le truc de ma frangine le post punk et j'y suis venu plus tard grâce à elle. Après coup je me suis demandé pourquoi j'achetais les albums de talking heads, joy division et pas ceux de MDS.En fait j'avais un problème avec le rock français, je les prenais pas au sérieux (à part Little BOB et MAGMA!)
RépondreSupprimerL'autre soir j'écoutais une interview de Philippe Pascal a la télé et j'ai trouvé que le mec avait une certaine classe et surtout une vision claire de sa musique qui n'a pas changé 40 ans plus tard.Ce qu'ils font maintenant je pense que c'est très fort, sur la vidéo on voit qu'ils ne trichent pas, ils envoient et c'est puissant et beau. Rejouer sa musique sans compromis 40 ans après avec une telle intensité ça mérite le respect.
En plus il y'en a un qui a une télécaster!
Duke
Et les Dogs, tu ne les trouvais pas sérieux?
SupprimerCe qui est particulièrement émouvant, c'est qu'il y en a un ou deux qui n'avaient plus toucher leur instrument depuis des lustres...
Une Tele et des lunettes noires si c'est pas la classe à Dallas ça ...
SupprimerOh oui les Dogs étaient parfaits (un peu faiblard au chant tout de même)
RépondreSupprimerMais seuls si seuls..
Un groupe qui a assimilé ainsi les tables du garage ça ne s'oublie pas!
Marie et les garçons, les plus doués?
Duke
Alors ça, c'est le bouquet.
RépondreSupprimerManquerait plus que Robert Fripp reforme King Crimson...
Comment ? parlez plus fort, j'ai des acouphènes sadiennes...
c'est ce qu'il fait depuis 47 ans ?
Mimi le batteur historique des DOGS est décédé ce lundi.
RépondreSupprimerRIP