Imaginez un large
couloir, les murs sont peints en noir. Les néons sont rouges et bleus. La
moquette est violette. A gauche, les bacs quarante-cinq tours. A droite, les
bacs trente-trois tours. Bienvenue à Rocka Rolla. L'enseigne est couleur crème,
rouge sang les lettres évoquent des notes de musique. Une tenture noire envahit
la devanture. En bonne place, la pochette Stay
sick! des Cramps, à l'honneur le derrière de Poison Ivy. La porte du
magasin est grande ouverte, déjà onze heures du soir. Attirés par les décibels,
des noctambules s'approchent, s'interrogent. Bar, boîte de nuit, peep-show ? Du
monde à l'intérieur, bruits de conversations, des bières tournent au comptoir,
des produits aussi. La voix puissante de Roky Erickson jaillit des hauts
parleurs. Un rugissement. « Tonight is the night of vampire... Tonight is the
night of vampire... If it's raining and you're running don't slip in mude
because if you do you'll slip in blood tonight... is the night of vampire...
Tonight is the night of vampire... » Teint pâlichon, quelqu'un me tend une
bière. Un autre lève sa canette à notre santé. On renifle, on a pris la même
chose. Terminé les hurlements, nuits de pleine lune, les vampires, Roky fait
une déclaration d'amour. Ton intime, rythme chaloupé. « I have tried, and tried
everything I know how. I have died, and died because of that familiar result I
could allow. I have cried, and cried uneasy days and sleepless night too. But
there's nothing I can do but wait for youuuu... » Sur le trottoir, l'air est
frais. Carole ne va plus tarder. Carole revient toujours. C'est ma petite amie,
et j'ai du produit. Exceptées les loupiotes du café à l'angle, la rue du Loup
est noire. La nuit, Bordeaux est désert. Reclus à Paris, Chaban est un fossile
qui a perdu la boussole. Soudain la vitre de la devanture palpite, Ivy
frissonne face à un déluge de décibels. Roky hurle. « ...YOU'RE GONNA WAKE UP
ONE MORNING AS THE SUN GREETS THE DAWN. YOU'RE GONNA LOOK AROUND IN YOUR MIND,
GIRL, YOU'RE GONNA FIND THAT I'M GONE. » Les cœurs reprennent. « YOU DIDN'T
REALIZE, YOU DIDN'T REALIZE... » La section rythmique déclenche un orage
sonore, Apocalypse now version
texane. Roky martèle : « You're gonna miss me baby. You're gonna miss me
baby. You gonna miss me, child. Yeah! yeah, yeah... » Break, seules la basse et
la batterie jouent. Roky gueule : « I gave you the warning, but you never
heeded it. How can you say you miss my lovin, when you never needed it... »
Lourde, puissante, la rythmique force le passage. Roky menace : « You're
gonna wake up wanderin', find yourself all alone. But what's gonna stop me,
baby? I'm not comin' home. I'm not comin' home. I'm not comin' hoooome... »
Solo de guitare. La guitare rythmique est en acier, la section rythmique fait
bloc. Le batteur abuse de la ride, des étincelles jaillissent. La guitare
s'envole dans les aigus, du napalm en gouttelettes. La voix de Roky écrase les
cœurs : « ...You didn't realize, you didn't realize, you didn't realize...
how, you're gonna miss me baby. How, you're gonna miss me, child, yeah, yeah,
yeah, yeah... » L'herbe ne repoussera plus. Le dernier qui a prononcé The
Explosives a eu la mâchoire fracassée et les rotules explosées. Les vampires
ont fait le coup ? Sans transition Roky enchaîne avec : « I walked
with a zombie ». Le tempo est lent, aspire à la danse. La vie de Roky en
dépend. « I walked with a zombie... I walked with a zombie, zombie. I walked
with a zombie, last night... » Au refrain, The Explosives reprennent : «
You walked with a zombie... You walked with a zombie... » Roky poursuit
imperturbable : « I walked with the zombie... I walked with a zombie,
zombie. I walked with a zombie, last night... » Trois lignes de texte et une
constance jamais démentie. Une comptine à fredonner aux enfants avant de
s'endormir ? La porte du magasin a bougé. Elle arrive. Peu importe son prénom,
c'est pas Carole. Carole elle est partie. Elle me frôle. Je lui glisse un képa
dans la main. Elle tire la tenture noire de l'arrière-boutique. Avant, les filles
lui trouvaient une ressemblance avec Annie Lennox : cheveux très courts,
jolie bouche, yeux superbes, silhouette androgyne. Désormais elle ressemble à
un spectre. On s'envoie la même saloperie. Elle ne se s'attarde jamais
derrière. Une vibration dans l'air, une odeur où se mêle cuir et cigarette, la
précède. Elle passe, glisse dans ma main un objet. Le double des clés. Le
canapé est parfait pour s'écrouler, ce soir exit le garage. Sourire en coin,
elle agite une vague main. Des hauts parleurs, la voix de Roky me ramène vers
Lucifer. Avec la même constance, il hurle : « Don't shake me, don't shake
me Lucifer... Don't shake me, don't shake me Lucifer... I been up all night,
and no suicide clock the works... » En mode tranquille, The Explosives exécutent
un rock'n'roll classique, dansant. Les paroles peuvent évoquer Satan, Lucifer,
ou Néron, peu importe. La voix de Roky me bouleverse, elle enflamme mon esprit.
Des créatures maléfiques grimpent le long de mon bras, s'incrustent dans mon
épaule, encrées dans mon épiderme elles sont miennes. L'encre a cicatrisé, les
démangeaisons relèvent du passé. Le tatouage m'a coûté le prix d'un gramme. Pas
de couleur, Roky et ses créatures sont de la même teinte que les gnomes sur mon
bras gauche. Soudain, une intro cataclysmique. Bloody hammer explose. Roky crie : « Demon is up in the
attic to the left. My eyes turns to the left to say, ''no''. You said ''First,
I am the special one''. I never hammered my mind out. I never have the bloody
hammer... » Secondé par les chœurs, Roky martèle : « I never have the
bloody hammer. I never have the bloody hammer. I never have the bloody, I never
have the bloody, I never have the bloody hammer... » La basse-batterie est un
rouleau compresseur. Le guitariste Cam King tronçonne joyeusement. Alien
descendu sur terre ou fils illégitime de Satan, Roky Erickson & The
Explosives est le cauchemar de l'Amérique. Tempo lent, ambiance morbide, Roky
déclare plus bas : « Stand for the fire demon. Rising in tune with the
clouds... Stand for the fire demon. Satan's is his crown... Stand for the fire
demon... » L'atmosphère est pesante, lugubre, des créatures maléfiques rôdent.
Bras tendus vers le ciel, Roky hurle tel un prédicateur : « ...STAND FOR
THE DEMON OF FIIIIIIIRE... STAND FOR THE DEMON OF FIIIIIIIRE... STAND FOR THE
DEMON OF FIIIIIIRE... » Toujours à ce moment-là que je m'absente. Hors de ma
tête, je suis loin. Le café de la rue du Loup a fermé ses portes. Dans la poche
intérieure de mon cuir, côté cœur, la dernière lettre de Carole. Elle aimerait
avoir plus souvent de mes nouvelles. Elle attend mon prochain mandat avec
impatience. Son changement de cellule a été positif, elle s'est fait de
véritables copines. Au fond de ma poche, le double des clés. « ...Stand for the
demon of fiiiiiire... Stand for the demon of fiiiiiire.... Stand for the fire
demon... »
P.S. : Mine mine mind, I love how you love me et Don't
shake me Lucifer sont extraits du concert at Soap Creek Saloon in Austin,
27 Novembre 79. Les autres titres proviennent du concert at Rock Island in
Houston, 22 Décembre 79. Toutes les chansons figurent sur l'album Casting the runes, exceptée Heroin, issue du concert at The Whisky A
Go-Go in Hollywood, 81, toujours avec The Explosives. Vous la retrouverez sur
la version expanded de Casting the runes, et également sur la
compilation Gremlins have pictures,
pressage G.B.
ERIC [Vous prendrez
bien le temps d’un petit commentaire !]
01 - The Wind And More
02 - Night Of The Vampire
03 - Mine Mine Mind
04 - For You (I'll Do Anything)
05 - You're Gonna Miss Me
06 - I Walked With A Zombie
07 - Love How You Love Me
08 - Don't Shake Me Lucifer
09 - Bloody Hammer
10 - Stand For The Fire Demon
11 - Heroin
MP3 (320 kbps) + artwork
C'est bien de rappeler que ce mec-là a existé et qu'il a vécu sur la même planète que nous… enfin, je crois !!!
RépondreSupprimerBeau pseudo, Eric !
Le pseudo est de mon fait, j'attends qu'il soit confirmé par l'auteur.
SupprimerLe mec a bien vécu sur notre planète, mais pas certain qu'il y soit né!
SupprimerEric préfère garder son seul prénom...
SupprimerJ'ai signé le post de mon prénom, Eric. Just call me Eric. Merci beaucoup.
RépondreSupprimerEric.
Je viens de modifier (désolé, je trouvais ça drôle, Eric Son).
SupprimerNe sois pas désolé, j'ai marché toute la nuit avec un zombie. J'ai un peu de mal à tout saisir.
SupprimerEric.
C'est obligatoire le pseudo? Si oui, Eric son.
RépondreSupprimerEric son.
Rien n'est obligatoire, tu es maître de ton identité.
SupprimerEn tout cas merci pour ce beau billet sur cet enregistrement "cosmique" (je mets des guillemets car le terme est presque trop facile, alors que la psyché (jeu de mot!) de cet homme est particulièrement complexe et fascinant). Ma porte t'est désormais grande ouverte.
SupprimerMerci Jimmy pour ton invitation. Je reviendrai à l'occasion, avec un billet un peu moins long, et sans doute dans la même veine. Mes commentaires concernant ton récit seraient beaucoup trop longs pour entrer sur cette page. Si tu le veux bien, je te les enverrai par mail. A bientôt.
SupprimerEric.
Chez moi, les "collaborateurs" sont mal payés; du coup, je suis obligé de leur laisser un maximum de liberté! Tu reviendras donc quand tu voudras, avec ce que tu voudras et de la longueur de ton choix.
SupprimerJ'attends avec impatience ton retour "en privé" sur mon feuilleton.
Et comme surnom "le vicomte" c'était pas mal ?
Supprimer"Le Vicomte", c'est Jean-Pierre. Moi c'est Eric. Et vous monsieur l'anonyme? Petit farceur.
SupprimerEric.
On ne pouvait pas rendre plus bel hommage à Roky Erickson que de rentrer dans sa propre folie avec ce billet haletant et vrai
RépondreSupprimer"Raw and alive" aurait titré Sky Saxon
Et en plus c'est tourné rue du loup, un truc qui a du plaire à Roky qui aimait à hurler sa rage les nuits de pleine lune.
Je ne trouve plus maintenant de meilleur discours à faire et le l'intronise de facto (avec ta permission Eric) au Duke's Pantheon
Je vais charger la musique et remercier le producteur JJ de célébrer Roky Erickson pour l'ensemble de son oeuvre.
Duke
Folie, c'était effectivement un mot qui me convenait à l'époque. La rue du Loup existe bel et bien, et en compagnie d'un pote, on a ouvert Rocka Rolla le 1er Avril 87 (ça ne s'invente pas) à Bordeaux. Les seules libertés prises, sont au sujet des demoiselles citées. Carole était sortie de prison à cette époque là, elle allait malheureusement y retourner l'année suivante. La fille dont je tais le prénom, n'a jamais eu de garage. Je partageais son lit à l'occasion. Concernant mon tatouage, mes excés, Rocky, le derrière d'Ivy dans la vitrine, tout ceci est vrai. Depuis quelques mois, j'écris ma bio (82-96). L'invite de Jimmy tombait à point nommé. Merci de ton commentaire. See you soon.
SupprimerEric.
''Don't mess with Texans'' qu'ils disent par là-bas.
RépondreSupprimerC'est pas la peine, ils peuvent se faire ça tout seuls.
J'ai quelque part sur un film-docu sur le bonhomme, il est encore plus dur à regarder que celui sur Daniel Johnston, dans mes souvenirs. Pas le genre de trucs que tu regardes tous les deux jours ceci-dit.
Billet parfait pour accompagner l'écoute du bonhomme, ce que je ne faisais pas tous les deux jours non plus mais que j'avais repris au mois de juin dernier.
Et la rue du Loup ouais, parfait pour un werewolf comme le Roger.
Moi j'aime bien Eric Son, en plus ça évitera la confusion avec mon pote Éric qui est passé commenter l'autre jour.
Nos amis Texans vont avoir le privilège de faire connaissance avec ton Blog, Jimmy, et par la même occasion de voir que Roky est estimé en France. Un ami de longue date a copié ton lien sur leur facebook. Eric.
RépondreSupprimerhttps://www.facebook.com/groups/13thfloorelevators/?ref=group_header
Chouette nouvelle! Par le passé, nous avons déjà eu deux artistes (un américain et une norvégienne) qui ont interagi sur le bog, ça fait toujours plaisir!
SupprimerCe commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimerBonjour Eric,
RépondreSupprimerLe mélange de ta prose avec les lyrics créent vraiment une ambiance lourde qui fonctionne à merveille dans ton texte. On sent une certaine ambition littéraire d'ailleurs...
Je connais que les 2 premiers Elevators, donc je vois connaître (un peu) ce que ce dingo aura fait après (sur lequel j'ai régulièrement entendu du bien). En tout cas, c'est un choix fort classe pour entrer sur la scène de ce merveilleux blog à l'esprit si unique!
A cette époque, Roky je l'avais dans les oreilles, la peau et le coeur.La prochaine fois,le ton sera plus léger, mon choix idem. Cool, Jimmy m'a donné carte blanche. Merci Audrey. A bientôt.
SupprimerEric.
C est très émouvent ! pas de mots en ce dimanche après midi tout gris...merci Eric
RépondreSupprimerà très bientôt
Martine et feu Léon !!!